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La guerre des moulins

1813 : propriétaire du moulin de Kerautret, dit encore de l'Evêque, Catherine Duhamel de la Bothelière, veuve de Keratry, se plaint de l'entrave apportée au cours de l'eau par le moulin de Merrot exploité, un peu plus bas, par la veuve Corre. Et Mme de Keratry a le bras long. Son défunt mari a présidé la noblesse aux Etats de Bretagne. Quant à son fils, pétri de Droit, d'humeur chafouine, c'est un royaliste qui attend son heure et sera bientôt sénateur.

Pour se procurer une plus grande quantité d'eau, le Merrot est accusé d'avoir élevé sa chaussée si bien que les eaux refluent sur Kerautret. Ruinée, sa propre chaussée vient ainsi de se rompre et de s'écrouler. A tel point, assure-t-on, que l'usine a menacé ruine. La maison aussi. Catherine de Keratry demande donc que la hauteur de l'écluse et de la chaussée du moulin incriminé soit revue à la baisse.

Ingénieur de l'arrondissement de Landerneau, Goury descend l'Horn avec les prestance du commissaire-expert de l'administration nommé par le sous-préfet de Morlaix. Il se rend d'abord à Kerautret. Alors que les eaux sont à leur hauteur maximum, ses deux roues à aubes sont effectivement noyées et inefficaces. C'est clair. La hauteur à laquelle sont retenues les eaux au Merrot nuit à Kerautret. Mais, notera l'homme de l'art, « les meuniers de Kerautret exercent dans leur bief une retenue d'eau aussi nuisible que celle dont ils se plaignent. » Ces meuniers, ce sont les Déroff...

Suivons maintenant l'ingénieur au moulin inférieur. Là, Christian Corre se fait tancer pour la manière irrégulière dont il retient les eaux à hauteur de ses prairies afin de les irriguer. En revanche, l'ingénieur l'écoute d'une oreille attentive quand, accusé par Kerautret, Corre n'en a pas moins à se plaindre de Kerhoant, situé encore plus bas. L'unique roue du Merrot est au moins aussi noyée que celles de Kerautret. « Il y aurait donc de l'injustice, plaide le meunier, à se prendre à moi d'un inconvénient que je ne fais au plus que transmettre.» Goury acquiesce: «Ici, comme à Kerautret, une chute de douze centimètres au plus ne donnerait pas une force suffisante pour vaincre la résistance de l'eau si le meunier ne cherchait pas à accélérer la vitesse de la chute en augmentant la hauteur de l'eau dans le bief supérieur.»

Voilà enfin l'ingénieur au moulin de Kerhoant, tenu par Elie et Claude Créach1. « Le dit moulin, constate Goury, a une retenue d'eau infiniment supérieure à celle des usiniers supérieurs puisque les vannes de décharge et en même temps des déversoirs ont 1,53 m de hauteur. » Il ne doute pas que cette hauteur soit utile au dit moulin et n'assure, pour un peu plus longtemps, le service de l'usine. « Mais ce n'est pas une raison suffisante pour causer la ruine de celles qui la précèdent. Que c'est pourtant le mal qui en arrive et propage peut-être indéfiniment. » Ce qu'il ne juge pas à propos de vérifier. Iil lui faudrait remonter toute rivière et ses affluents jusqu'à leur source. L'ingénieur allègue que « les vannes n'avaient et n'ont même jamais de hausse, qu'elles paraissent très anciennes, que, quoi qu'il en soit, il est hors de doute que les choses n'ont pas toujours été dans cet état. Car on n'eut jamais imaginé de faire à Merrot un moulin dont la roue et les aubes eussent été noyées sous un mètre de hauteur, que ceci est pour la supposition de la plus grande ancienneté en faveur de Kerhoent, que s'il en était autrement, le tort des auteurs de ce moulin serait encore plus grand pour la raison qu'ils n'auraient pas dû gêner l'usine supérieure en construisant la leur.

« Examen fait de l'état des eaux dans le bief inférieur, le dit ingénieur a aussi reconnu que les mesures à prendre ne devaient pas s'étendre plus bas que Kerhoent, qu'en effet les roues de ce moulin ne sont jamais noyées, que l'eau, dans son état ordinaire, touche à peine les aubes inférieures. Si l'abaissement des vannes diminue la durée du travail, il ne lui nuira pas comme cela aurait lieu aux deux autres moulins si l'on ne diminuait pas la résistance qu'ils ont à vaincre en proportion de la réduction de la force motrice.»

Le moulin Merrot au cadastre de 1811.

1 En 1815, on recense deux meuniers à Kerhoant Elie Créach, 32 ans, marié, un enfant et Hamon Créach, 31 ans, célibataire.

 

 

4 décembre 1813. Sur rapport de l'ingénieur, le maire de Plougoulm publie un avis. « L'ingénieur, dit le maire, a saisi l'ensemble de la contestation, tant en démontrant le peu de fondement de la partie de la plainte de l'effet supposé du refoulement des eaux de Mérot à Kerautret. Il a, en même temps, proposé le moyen le plus expéditif et le plus dispendieux de faire droit aux autres parties fondées de cette plainte et de mettre un terme aux dissensions scandaleuses du détenteur du moulin de Kerautret, de Mérot et même de Kerhoant.»

En 1814, l'ingénieur Goury écrit au sous-préfet de Morlaix ses dispositions pour que nos trois moulins ne puissent se nuire réciproquement ni occasionner un refoulement des eaux capable de préjudicier aux propriétaires riverains. Cette longue enquête préfectorale a abouti à un arrêté du représentant de l'Etat. Le préfet considère notamment « qu'il est constant que la retenue des eaux dans le bief du moulin de Merrot nuit au mouvement des roues et conséquemment à l'usine de Kerautret. Que l'usine de Merrot éprouve la même gêne de la part du moulin inférieur (autrement dit Kerhoant) et qui si l'on diminuait la hauteur de sa retenue sans diminuer celle de ce moulin inférieur, on annulerait absolument cette usine qui serait réduite à une inaction à peu près complète. Que ce moulin inférieur, dit de Kerhoent, n'éprouve aucune espèce de gêne de ceux qui sont au-dessous et que ses roues libres en tout temps n'ont pas besoin, pour être mues, d'une aussi forte retenue, attendu qu'elles n'éprouvent aucune résistance, aucun frottement étranger à ceux des rouages de l'usine...»

Alors, la retenue des eaux du Merrot a-t-elle vraiment provoqué les dégâts dénoncés par la Dame de Keratry ? C'est physiquement impossible, assure l'ingénieur. Ce sera en tout cas au tribunal compétent de se prononcer. Le préfet estime avant tout qu'il importe de rétablir ces trois usines dans des rapports qui les empêchent de se nuire réciproquement, « ce qu'on peut faire à moindre frais possibles, attendu qu'il ne s'agit pas ici de constructions nouvelles...»

Parmi les quatre articles de son arrêté, le préfet ordonne ça et là des modifications quant aux hauteurs des vannes. Pour Kerhoant, celles de décharge servant de déversoir « seront réduites de cinquante centimètres au moyen de quoi la roue du moulin de Merrot immergée aujourd'hui de soixante-cinq centimètres ne le sera plus que de quinze centimètres, moins que l'épaisseur de la jante, ce qui rendra son mouvement très facile et lui fera trouver sous ce rapport plus qu'elle ne perdra sous le rapport de l'action...» Il en coûte alors 66 francs et 67 centimes à chaque moulin pour les frais de cette étude et ceux nécessités par un nouveau déplacement visant à vérifier l'application effective de l'arrêté préfectoral.

1824 : Guillaume Le Déroff, meunier, décède au moulin de Kerautret. Elisabeth Le Saout, sa femme, le suivra en 1835.

En 1836, la population du moulin l'Evêque se compose ainsi : Rolland Quéau, 37 ans, meunier, Jean Le Déroff, 25 ans, Renée, 23, Jacques 17, Jeanne, 15, Gabriel, 13, Yves, 12, idem. On compte encore Jacques, Marie, Rolland, Marie-Renée et Célestin Quéau, âgés de 2 à 8 ans. Domestiques : Ollivier Quéméneur, Hamon Créach, Marie Glidic, Marguerite Créach, Guillaume Olier, François Traon. Et voilà que les Créac'h de Kerhoant jettent leur dévolu sur le moulin...

(A suivre)

Date de dernière mise à jour : 04/05/2021

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