J'ai reçu ce matin d'une personne pourtant rompue à la législation une lettre ainsi adressée : Madame et Monsieur Jean Dupont (nom d'emprunt et très emprunté, vous me pardonnerez mon manque d'originalité).
Ceci est à la fois archaïque et factuellement inexact. L'épouse de Monsieur Dupont n'est pas "Madame Jean Dupont" car le mariage n'a jamais eu d'effet sur le nom légal (nom de famille) en France. Son nom légal demeure son nom de naissance (par exemple, Durand). L'époux a lui aussi pour seul nom légal Dupont. Le nom légal est le seul inscrit sur l'état civil. Le couple étant destinataire, la mention correcte aurait dû être : "Madame Durand, Monsieur Dupont" ou, dans un usage simplifié, "Madame, Monsieur Dupont" si l'épouse utilise le nom de son mari comme nom d'usage.
Le mariage ouvre cependant le droit à chacun des époux d'utiliser le nom de l'autre comme nom d'usage, un droit personnel et facultatif qui est réciproque (régi par l'Article 225-1 du Code civil). Ce nom d'usage permet diverses combinaisons sans aucune démarche administrative préalable. Madame Dupont peut choisir d'utiliser seulement son nom de naissance (Durand), seulement le nom de son époux (Dupont), ou les deux noms accolés dans l'ordre de son choix (Durand-Dupont ou Dupont-Durand). Monsieur Dupont possède exactement les mêmes options.
De plus, en vertu de l'Article 311-21-1 du Code civil, toute personne majeure (y compris Madame Dupont) a le droit d'utiliser, à titre d'usage, le nom du parent qui ne lui a pas transmis son propre nom de famille à la naissance (par exemple, le nom de sa mère, Martin). Madame Dupont pourrait donc aussi adopter pour nom d'usage Durand-Martin.
Ce droit d'usage est acquis par le simple fait du mariage ou de la filiation et ne nécessite aucune formalité ou validation auprès de l'état civil. Surtout, la décision de prendre un nom d'usage n'est jamais définitive ; l'usage est révocable, modifiable, et alternatif. On peut décider de l'utiliser ou non, et en changer la composition à tout moment (passer de Durand-Dupont à Dupont par exemple).
Pour les actes officiels comme l'acte de naissance, le livret de famille ou le contrat de mariage, seul le nom légal (Durand pour Madame, Dupont pour Monsieur) doit être utilisé. En revanche, pour les documents courants et l'identité sociale (carte Vitale, courrier, banque), le nom d'usage peut être utilisé. Pour que ce nom d'usage figure sur les documents d'identité (carte nationale d'identité, passeport), il suffit d'en faire la demande lors du renouvellement des titres, fournissant le livret de famille ou l'acte de naissance comme preuve du droit d'usage.
Tel un clin d'œil à ces multiples identités, on pourrait citer le cas d'un journaliste qui renouvelle sa carte de presse en indiquant pour nom d'usage Jean Dupont-Martin (nom légal et nom de sa mère, reflétant son identité de filiation et peut-être son activité normative) et pour pseudonyme Jean Dupont-Durand (nom légal et nom de son épouse, correspondant à son identité de terrain ou locale). Cela illustre la parfaite compatibilité légale entre l'usage d'un nom lié à la filiation et l'usage d'un pseudonyme lié au mariage pour différencier les activités.
Le fait que cette lettre reçue persiste à substituer le nom du mari à celui de la femme rappelle qu'il y a un peu plus d'un siècle, l'usage courant voulait que la femme mariée perde son nom de jeune fille. Pourtant, historiquement, jusqu'au Code civil de 1804, la femme conservait son nom de naissance ; ce n'est qu'au XIXe siècle, dans la pratique sociale et administrative, qu'est apparue la substitution du nom du mari au nom légal de l'épouse. Cette tradition a perduré, bien que non fondée en droit. Le nom, d'ailleurs, a toujours été fluide dans certaines régions, notamment là où des patronymes identiques sont très courants (comme les Boutard à Jumièges ou les Deconihout), rendant l'usage de surnoms (dit Pitou, dit Boisselier) indispensable pour distinguer les individus dans la vie quotidienne.
Aujourd'hui, l'assouplissement de la loi sur le nom d'usage offre à nos concitoyens une liberté de se nommer en accord avec leur ressenti. C'est une réponse légale à la quête d'identité que peuvent éprouver certains de nos contemporains, leur permettant d'intégrer dans leur appellation usuelle une reconnaissance de leur filiation, de leur mariage, ou de leur histoire personnelle, loin des rigidités archaïques.
En quête d'identité
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