Fêtes de Brest, 1865

Le 30/08/2023 0

Fêtes de Brest.

A monsieur le rédacteur en chef de la Liberté.

Brest, jeudi soir 24 août 1865

Monsieur,

On se souviendra longtemps du bal donné aux officiers de l'escadre anglaise par la marine et la guerre, sur le vaisseau la rille-de-Lyon. La fêle devait avoir un cachet maritime et militaire, et les administrateurs, en
le lui conservant, ont su la rendre féerique.

Le vaisseau, complètement mâté, était amarré ei l'entrée du port militaire au milieu du chenal de La Penseld. Pour y donner accès par le quai, on avait construit sur des pontons une large passerelle garnie de lapis
de pied et entourée de toiles à voiles symétriquement ornées d'étamines a pavillons. A l'extrémité de la passerelle on montait un escalier et l'on entrait dans le vaisseau par les sabords de la galère. Les appartements
du commandant avaient été transformés en salons de réception et en cabinets de toilette, i1 se tenaient des ouvrières mises à la disposition des dames. La salle de bal était sur le pont couvert d'une tente élevée. En y pénétrant, le regard embrassait un ravissant tableau : Sur tout le pourtour deux doubles rangs de gradins étaient occupés par plus de 700 dames; 40 lustres, dont chacun était chargé de 50 .grosses bougies, projetaient leur lumière sur de riches et élégantes toilettes. Les lustres étaient uniquement composés d'armes brillantes en .usage dans la marine.

On avait prodigué les lumières; vingt milles bougies environ répandaient dans toutes les parties du navire un éclat éblouissant. Le long des bastingages éclatait une ligne de feu projetée par des baïonnettes qui réfléchissaient les bougies placées dans leurs douilles; en arrière étaient les hamacs de l'équipage arrimés comme à la mer. On avait dissimulé les énormes mâts par de la verdure, par des fleurs, par des branches au milieu desquelles
brillaient de petits lustres formés par des canons de fusil, de baïonnettes, de sabres, de pistolets et de poignards, le tout entremêlé de faisceaux de drapeaux aux couleurs de France et d'Angleterre.

Au centre, à la place des cheminées de la machine, on aperçoit une corbeille garnie de fleurs, élevée de plusieurs mètres, et dans laquelle était assis le corps de musique des équipages de la flotte, exécutant des quadrilles, des valses, des polkas, etc. Sur le fronton de la corbeille et dans un enfoncement soutenu par des colonnades, se tenaient immobiles, appuyés sur leurs fusils, quarante pupilles de la marine qui, d'heure en heure, se relevaient.

A l'avant du vaisseau, contre le mât de misaine, on avait dressé une irrimense panoplie, formée d'espingoles et d'autres armes du bord, brillante et arrangée avec un art merveilleux. Des aigles et des palmiers, entièrement faits d'armes, décoraient aussi cette partie. Le dessus de la dunette attirait agréablement l'attention ; il était transformé en un épais bosquet avec jet d'eau, où les danseurs venaient chercher un abri contre la chaleur.
Jamais on ne tira si bien parti d'un espace relativement étroit en élargissant la perspective comme par magie.

En descendant du pont dans la batterie haute, on trouvait réunis le luxe de salon et la sévérité militaire. L'éclairage était entièrement supporté par des armes de combat.
Entre les canons, on avait ménagé d'élégants sofas semi-circulaires. Deux buffets magnifiques étaient dressés aux deux extrémités.

Enfin, la batterie avait été réservée pour le souper. Même splendeur de décors que sur le pont et à la batterie haute. Les tables, de chaque côté, avaient une longueur de 80 mètres.

Plus de 3,000 personnes étaient réunies sur la Ville-de-Lyon. Il y avait donc foule, mais pas encombrement. Les mesures avaient été si bien prises, l'espace était si bien ménagé, qu'on circulait avec facilité. L'aération était
parfaite.

Les invités, les Anglais surtout, étaient émerveillés. La haute société britannique, on le sait, est habituée à tous les raffinements du luxe et du comfort; mais ici, le luxe était d'un goût si original et si gracieux à la fois,
il semblait tellement qu'une magicienne avait transformé la Ville-de-Lyon, que les nobles hôtes de la France ne se lassaient pas d'admir.er avec ravissement.

Le bal a commencé vers 10 heures. Entre les deux portes de la dunette, donnant accès à la salle de bal, les sièges d'honneur étaient occupés par la marquise de Chasseloup-Laubat, par la comtesse de Gileydon, par la duchesse Clarence Pagct. Près de ces dames, on remarquait- M. le ministre de la marine, le duc. de Sommerset, l'amiral Dacres, M.Dupuy de Lôme et d'autres personnages. Le bal a été fort animé, et il a continué sans interruption jusqu'à 6 heures du matin.

A une heure, la salle du banquet a été vouverte pour les officiers anglais et pour les dames qu'ils accompagnaient. Ils s'empressaient d'offrir le 'bras à leurs danseuses.
Après eux, tous les autres invités ont eu leur tour. Jamais on ne vit plus de profusion unie il plus de délicatesse. Les vins étaient de choix et les hôtes de la France ont prouvé qu'ils sont fins connaisseurs.

Cette fête, l'une des plus brillantes qui eussent jamais été données, a été parfaite a tous égards, et les honneurs en ont été faits avec une exquise politesse. La carte à payer sera un peu chère; on dit que l'addition
pourra bjen monter à 400,000 fr.

 

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