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Des nouvelles du passé, l'actualité du site...

Célestin Séité

Le 24/02/2021

Le Télégramme du 26 février 2016 a publié cet article sur Célectin Séité.

Roscovite Célestin Seité faisait partie du 19e régiment d'infanterie. Et comme le Morlaisien, le jeune homme de 27 ans, alors officier, a été fait prisonnier, à Verdun, le 17 avril 1916. « Il a été mis en forteresse et a même passé les premiers jours aux côtés d'un certain... Charles de Gaulle ! », raconte l'un de ses petits-fils, le Saint-Martinois Michel Seité, 74 ans.

Longue carrière politique

Revenu très faible de ses deux ans de captivité, en 1918, Célestin Seité déjouera finalement tous les pronostics médicaux. Marié deux fois (à Marie-Olive Guivarch, emportée par la tuberculose en 1928, et à Louise Chapalain en juin 1929), il aura trois enfants des deux lits, redeviendra légumier à Gardaléan, avant d'embrasser une longue carrière politique. Premier adjoint au maire dès 1925, puis conseiller général en 1931, Célestin Seité restera maire de la commune pendant 22 ans, de 1946 à 1969. Il décédera à 86 ans, en 1975, après avoir eu toute sa vie des difficultés circulatoires aux jambes, « héritage des combats dans le froid », note son petit-fils.

« Un sacré personnage ! »


Passionné de généalogie, Michel Seité (issu du premier mariage de Célestin) ne s'est penché que depuis 2010 sur le parcours militaire de son aïeul. « Un hommage lui a été rendu à Roscoff à l'occasion des 90 ans de l'Union nationale des combattants (UNC), dont il avait été le fondateur après-guerre. C'est là que j'ai appris que mon grand-père avait été fait prisonnier à Verdun ». Le Saint-Martinois, qui ne dispose malheureusement d'aucun journal de bord, a utilisé la fiche matricule et les journaux de marche et d'opérations pour retracer le parcours de Célestin. « Je l'ai surtout connu lorsque j'étais enfant. C'était un sacré personnage ! », souligne-t-il, avec le même regard bleu, et, dit-il, « le même daltonisme que Célestin ». « Il ne parlait jamais beaucoup de la Grande Guerre. Je l'entends nous répéter, enfants, que ce qui l'avait sauvé des obus, c'était ses petits 1,60 m ». Un pied de nez aux horreurs de la guerre, dont, c'est sûr, « il avait, comme tous, horriblement souffert », termine aujourd'hui son petit-fils.

La Ste-Barbe de 1927

Le 24/02/2021

Le grand pardon de Roscoff favorisé aur un temps superbe a magnifiquement réussi.

Le dimanche, veille de pardon, la population se rendit à Sainte-Barbe pour assister aux vêpres célébrées en plein air. Cet office terminé, le clergé se rendit auprès d'un énorme bûcher pour y allumer, selon une vieille tradition, le feu de joie. Le lundi, une messe solennelle fut chantée par M. Mesguen, chanoine honoraire et supérieur du collège de Saint-Pol. Ce fut, dans l'après-midi, qu'eut lieu la belle procession de Sainte-Barbe. Elle quitta l'église paroissiale à deux heures et s’achemina lentement, entre deux haies de spectateurs, vers la chapelle de la Bienheureuse martyre. Sur le parcours de nombreux touristes, armés d’appareils photographiques guettaient, le passage d’un beau costume, d’une riche bannière. Le patronage Sainte-Barbe, dirigé par M. l’abbé Prémel (directeur) et les frères Cabioch (moniteurs), fit bonne mine dans ce magnifique cortège. Les notes, éclatantes des tambours et des fifres alternaient avec les cantiques chantés par la foule. Les vêpres furent chantées en plein air auprès de la chapelle. Puis M. le Recteur de Plougoumù monta dans la chaire rustique, dressée sur la colline. Après avoir raconté à son nombreux auditoire les luttes que Sainte Barbe eut à soutenir pour sa foi, il lui rappela qu’aujourd hui la foi chrétienne est en péril. N est-elle pas menacée, en effet, par les mauvais spectacles, les modes indécentes et par les lois persécutrices ? Il insista surtout sur le danger que fait courir à l'âme des enfants l’école laïque. Il rappela aux parents chrétiens le devoir qu'ils ont de confier leurs e fants a des maîtres chrétiens qui, avec les connaissances profanes, leur inculqueront la vérité de la foi. Il ne voulut pas finir sans donner à ses auditeurs le moyen infaillible de triompher. C’est celui-là même qui a si bien servi nos adversaires, l’union qui a fait arriver au pouvoir la poignée de francs-maçons qui nous gouvernent ; l'union comme à Quimper et au Fulgoet. C’est par ce moyen seulement que nous ferons valoir notre nombre et triompher nos revendications. Une bénédiction à l’église paroissiale clôtura le pardon.

Le Nouvelliste de Bretagne

Roscof : les élections de 1929

Le 24/02/2021

ROSCOFF Conseil municipal Les élus du 5 mai sont au complet. Au fauteuil du président se trouve le doyen d’âge, M. Esprit Le Mat, patron du bateau de sauvetage, chevalier de la Légion d'honneur. D'une voix que les années n’ont fait qu'affermir, M. Le Mat prononce un beau discours qui mérite d'être cité en entier : « Mes chers Amis,  im y a 4 ans, j’avais l’insigne honneur de présider en de semblables circonstances la séance d’ouverture du Conseil municipal de Roscoff. Aujourd'hui, par privilège d'âge, le même honneur m’échoit encore : j’en ressens une joie deux fois plus grande. Un autre plaisir, non moins grand, est de retrouver a nos côtés la plupart de mes collègues de 1921. Il y a 15 jours, nous étions les représentants d'une majorité, aujourd'hui nous devons être les mandataires dee tous. Du magnifique témoignage de co fiance de la population rosvocite, nous répondrons par un esprit de justice, un travail méthodique et assidu et un entier dévouement à l’intérêt général. A l'œuvre donc, mes chers amis, pour la prospérité de notre belle et chère commune ! »

Une ovation est faite au sympathique doyen. Le Conseil municipal procède à l'éleclion du maire : M. Quément est. réélu à l’unanimité (22 voix, un bulletin blanc). En quelques paroles bien senties, M. ]e Maire remercie le Conseil et s'associe aux généreux sentiments de M. Le Mat. À l’unanimité. M. Célestin Séité est réélu premier adjoint et M. Jacques Cabioch élu deuxième adjoint. La création d’un troisième poste d’adjoint est décidée. M. Victor Talabardon, élu aussi à l'unanimité, en remplira les fonctions. Samedi dernier, un journal cartelliste la légion annonçait que l’élection du maire et d’un adjoint ne se ferait pas sans tiraillements. On voit ce qu’il faut penser de cette manœuvre de dernière heure. Le magnifique exemple de discipline que vient de donner, au début de son mandat, le nouveau Conseil municipal, est un gage de concorde et de travail sérieux pour les années à venir.

Le Nouvelliste de Bretagne, 21 mai 1929

Mort du Dr Bagot

Le 23/01/2021

Le docteur Louis Bagot père est mort dimanche 12 janvier 1941, à l'âge de 78 ans. Les obsèques ont été célébrées à la Catédrale mardi 14. Directeur de l'institut marin de Roscoff, membre correspondant de la Société d'hydrologie, chevalier de la Légion d'honneur, praticien éminent et chrétien de vieille roche, M. Bagot est père de dix enfants: Sœur Amélie Bagot, Fille de la Charité, MM. Jean et Henri Bagot, ingénieurs civils des mines, le premier chevalier de la Légion d'honneur el croix le guerre, le second croix de guerre; le docteur Louis Bagot, croix de guerre; le docteur René Bagot, les notaires MM. Georges Charles Bagot, à Morlaix et à Rennes; M. Paul Bagot, ingénieur E.C.P.; Mmes Lefloc'h et Belbeoc'h.  Dire le bien que le docteur Bagot a fait en ville et dans les environs serait une tâche impossible. Pendant un demi-siècle il s'est dévoué de toute son âme à ses concitoyens, aux petits, comme aux grands, estimé de tous pour sa science et pour sa bonté, respecté pour sa foi et pour la dignité de sa vie, entouré de la confiance de tous. Il aimait à raconter les tournées épuisantes des temps « d'avant l'auto » et même d' « avant le vélo »: ses récit étaient pleins d'humour, et son bon cœur y parlait toujours. Il préférait l'auto, disait-il, parce qu'elle permet le soulagement et le salut plus rapides de malades plus nombreux; mais le pittoresque et le charme des courses en voiture, si pénibles cependant, lui laissaient le souvenir de bonhomie et... de temps jadis, sans amertume. C'est une foule recueillie, de ses amis et de ses obligés, qui a prié pour lui dans la cathédrale et au cimetière. Et le juste Juge, comparant la vie du bon docteur Bagot avec son énoncé des huit Béatitudes, n'aura pas estimé, sans doute, qu'il les avait mal pratiquées...

Extrait du discour de De Guébriant : " Secondé par une épouse digne de lui, éleva et dirigea ses enfants avec une sagesse, une intelligence et une foi qui ont reçu leur récompense et qui doivent servir d'exemple.

Sa valeur professionnelle avait d'ailleurs largement dépassé le cadre local. Elle fut reconnue par ses confères de la région qui l'avaient placé à la tête de leur syndicat, elle l'était aussi des autres médecins de France et nous sommes heureux de l'avoir constaté.

Conseiller municipal depuis 1912, le Docteur Bagot remplit son mandat avec la conscience qu'il apportait à tous ses actes, ses conseils, son expérience, son intelligence furent précieux et utiles, nous étions particulièrement réjouis de voir ses mérites récompensés en haut lieu par la Croix de la Légion d'Honneur. Nous conserverons fidèlement la mémoire d'un collègue aimé et respecté pour ma part, c'est avec un serrement de cœur qiue je vois disparaître un vieil et grand ami de ma famille dont il soigna cinq générations, et  auquel nous étions très profondément attachés. Au nom du Conseil municipal, au nom de a population et au mien personnel, j'adresse un dernier adieu à notre cher Docteur Bagot et j'exprime sa veuve et à ses enfants, sans oublier ceux que la captivité retient au loin de ces condoléances les plus sincères et très émues en les assurant de nos prières »

M. le docteur Lejeune, sénateur-maire de Morlaix, adressa a la famille l'expressioni émue des plus vives condoléances des médecins du département du Finistère et du corps médical tout entier.

L'Association des Anciens Elèves du Collège de Léon et de l'institution N.-D. du Kreisker vient de perdre son très aimé et très regretté Président depuis 27 ans: M. le Docteur Louis Bagot, Chevalier de la Légion d'Honneur, décédé le 12 Janvier, à 78 ans. Praticien d'une haute science et d'une parfaite conscience professionnelle, M. le Docteur Bagot a fait bénéficier des fruits de la longue expérience non seulement l'institiition dont il était le médecin principal mais la région toui entière qui, jusqu'à ses dernières semaines, faisait encore appel à son dévouement. A ses obsèques en la Cathédrale de Saint-Pol, en présence d'un nombreux clergé et de plusieurs notabilités de l'arrondissement et d'au-delà, les élèves de Philosophie et de Mathématiques du Collège onl apporté l'hommage des écoliers et des maîtres comme de l'Association des Anciens. Le Docteur Louis Bagot, qui appartenait au cours 1879, obtint en Rhétorique ie Premier Prix d'Excellence et le Premier Prix de Composition Française (Prix d'Honneur). Nommé Vice-Président de l'Amicale lors de sa fondation en septembre 1910, il en devint le Président en 1913, après la mort de M. le Chanoine Quidelleur

L'héritage de Messire Hamon Barbier

Le 19/01/2021

Hamon Barbier racheta Kerhoant aux Nevet. Voici ce que dit Louis Le Guennec du personnage...

 

Un ancien aveu de la terre de Maillé, cité par Kerdanet, compare ironiquement les constructeurs du célèbre château de Kerjean dans la paroisse léonaise de Saint-Vougay, aux orgueilleux géants qui avaient "bâti la tour de Babel. Malgré sa forme hyperbolique et, son Intention malveillante, c'est là, au fond, un compliment flatteur pour ceux qui conçurent et réalisèrent le projet d'édifier,au fond de campagnes lointaines, cette triomphale demeure,

Les historiens locaux en attribuent le mérite à Louis Barbier, seigneur de Kejean, Keralleau, Lanven, fils de Jean Barbier et de Jeanne de Kersauson, lequel Louis Barbier mourut à Kerjean, en 1593, à l'âge de 72 ans, après avoir été trois fois marié. Mais ils indiquent, comme le principal artisan de la grandeur de sa maison. Hamon Barbier, oncle paternel de Louis, qui fut d'Eglise. Un canonicat de la cathédrale de Saint-Pol constitua le premier et modeste échelon de sa fortune. Trente ans plus tard, il était tout à la fois conseiller au Parlement de Bretagne, abbé de Salnt-Mathieu Fin-de-terre, chanoine de Léon, Tréguier, Cornouaille et Nante s; archidiacre official et grand vicaire de Léon, scolaslique et vicaire général de Tréguier, recleur de Plounévez-Lochrist. Saint-Vougay, Plougourvest, Plougar, Sizun, Guimiliau, Plouzané, Plouvien, Guipavas, Plabennec, Lannilis, Plounéour-Trez, Plourin-Moriaix, Plourin-Léon, Plomeur, prieur de l'Ile-de-Batz et de Saint-Nazaire — j'en passe certainement! — et de plus titulaire d'une quantité de chapellenies, les contemporains affirmant qu'il accaparait toutes celles dont le revenu atteignait 1000 livres.

Une aussi étonnante que scandaleuse accumulation de charges richement reniées laisse croire qu'Hamon Barbier avait su se ménager de fructueuses intelligences en cour de Rome et que la dominante de son caractère était l'ambition, une ambition fortement teintée d'âpreté au gain. Quand il mourut, tant de bénéfices vaquèrent à la fois que le pape Jules II, surpris devant l'avalanche de sollicitations et de recommandations qui s'abattait soudain sur le Vatican, s'informa si tous les prébendiers de Bretagne s'étaient donné le mot pour trépasser ensemble. Jointe sans nul doute à une gestion bien entendue et à une sage économie, cette collection de bénéfices permit à Messire Hamon d'entasser des richesses dont devait dans la suite user son neveu pour construire le plus beau et le plus fort château du pays, et vaincre en opulence les plus fastueux gentilshommes de Basse-Bretagne.

Hamon Barbier n'était pas un esprit médiocre, inférieur à sa fortune. Il avait des connaissances étendues en théologie et en droit civil. Il publia le premier[missel imprimé du diocèse de Léon, et fut un vicaire général actif et zélé, qui rendit d'éminents services aux évêques dont il avait la confiance. Les moines de Saint-Mathieu l'accusèrent, il est vrai, d'avoir quelque peu pillé les revenus de l'abbaye et emporté chez lui les archives, mais qui peut se dire sans reproches ?
Quoi qu'il en soit, le bon chanoine mourut au mois de novembre 1544 dans son hôte! de Saint-Pol-de-Léon, élégant logis éthique qu'il s'était fait bâtir vers 1520, qui existe encore et qu'on connaît aujourd'hui sous le nom du dernier titulaire de cette prébende avant la Révolution, l'abbé de Keroulas.

Les héritiers d'Hamon Barbier étant mineurs, on décida, pour sauvegarder leurs intérêts, de procéder à l'inventaire de sa succession mobilière. Cet inventaire, dressé du 18 au 21 mars 1545 par Maîtres Jean Kermelec et Jean Lanuzouarn, procureur et lieutenant de la cour des Régaires de Saint-Pol. nous fait pénétrer dans l'habitation d'un riche dignitaire religieux de Bretagne au milieu du XVIe siècle et reconstitue minutieusement devant nous le cadre, luxueux et confortable autant que le comportait l'époque, où s'écoulèrent les dernières années de celui que Le Goffic a baptisé avec grande raison " la perle des oncles à héritage ".

Les deux magistrats, assistés de leur greffier Robert Coëtmanach, procédèrent d'abord à l'examen des papiers du défunt. On y constate que Messire Hamon obligeait volontiers de sa bourse les nobles plus ou moins gênés, et qu'il détenait des créances assez fortes sur de hauts et puissants seigneurs de la région, les Bouteville du Faouët, les Kermavan, les du Louet, les Coetquelfen, les Le Scaff. Notons aussi une procuration très intéressante en ceci qu'elle nous révèle l'époque précise à laquelle vivait Fiacre Mezanslourm, recteur de Lanhouarneau, auteur de l'ancienne tragédie bretonne de la Destruction de Jérusalem.

Cette pièce, citée très souvent par dom Le Pelletier dans son fameux Dictionnaire breton, semble actuellement perdue, tout au moins dans sa forme primitive, car la version incomplète qu'on en possède témoigne de modifications profondes en vue d'en rajeunir le style et la langue. On ne savait, trop si l'oeuvre du prêtre léonais était du xve ou du xvie siècle, mais il est établi à présent qu'elle appartenait à ce dernier, puisque Maître Fiacre Mézanstourm devint en 1541 recteur de Plougoulm par résignation d'Hamon Barbier.

Parmi les « contractz et lettres « du feu chanoine, on trouva une boîte contenant une centaine de pièces d'or et d'argent, doubles ducats, ducats, écus, phiippus, testons et demi-tesions, plus un nid d'or et une branche de corail blanc, curiosité rapportée peut-être du Levant par quelque hadi marin de Penpoul ou de Boscoff. On passa ensuite à l'inventaire de la vaisselle de vermeil et d'argent, prisée par les orfèvres Yvon Le Goezou et Jehan Graffeur. qui dictèrent une somptueuse liste de poteaux (vases), aiguières, coupes, tasses, gobelets, bassins, non compris un calice et deux burettes d'argent doré.

On compta vingt cuillers d'argent, sans mention d'aucune fourchette dont l'usage était encore peu commun, les doigts des convives remplaçant cet ustensile.

avec commodité et avantage. Six tasses d'argent, dorées en partie et armoriées du blason des Barbier: d'argent à deux fasces de sable, furent estimées 1262 livres. L'une des coupes était faite d'une « noix d'Inde », noix de coco ou calebasse sculptée et montée en filigrane de vermeil.

Là finit la première journée. Le lendemain, les juges ouvrirent l'estude ou cabinet de travail de Messire Hamon. Ils y découvrirent, dans un banc-armoire fermé à clef, trois bourses de cuir et un sac de toile également rebondis, d'où s'échappa une tintante et joyeuse cascade mêlant aux monnaies d'or, ducats, noixades, désirés, écus, sol, écus de France et de Bretagne, lyons d'or, etc., d'appréciables traizins, demi-tralzin», douzains et demi-douzains d'argent, sans parler des carolus et des gros d'Angleterre, ni surtout des humbles doubles, liards et deniers. Un seul bijou, une chaîne d'or de 25 noeuds, émergeait de ce flot d'espèces sonnantes et trébuchantes, évaluées à une somme qui correspond à 75 ou 80.000 francs de nos jours.

Un meuble voisin' abritait la bibliothèque du défunt, une soixantaine de volumes manuscrits ou imprimés dont la curieuse nomenclature nécessiterait de trop longs commentaires. Gommée il est naturel, la presque totalité se compose d'ouvrages de théologie et de jurisprudence, puisque Hamon Barbier avait été tout ensemble homme d'Eglise et magistrat. Pas plus que l'Henriette de Molière, il n'entendait le grec, car il ne possédait aucun ouvrage en la langue d'Homère, mais la littérature latine était représentée chez lui par Cicéron, AuluGelle, Quinte-Curce, Perse et Valérius Maximus; l'histoire de Bretagne par la Gesta Ilritonum; l'histoire naturelle par Le Grand Herbier en franezois.

Les habillements contenus dans un beau coffre en cyprès de la seconde malle furent estimés par Hervé Le Goliag et Hervé Laurens, couturiers, et, Bertram An Coat, pelletier. La plus riche pièce en était « une robe d'escarlatte
fourrée de visons » mêlée à d'autres robes de mygrene, de pavenance, de serge d'Arras, de frise d'Espagne, des pourpoints de satin, de velours et de drap noir, des chaperons de drap et de camelot, des « coueffes » de satin noir, des casaques, des surcots, des salons etc., en nombre tel qu'il semble bien que le bon chanoine collectionnât toutes ses vieilles frusques. Six pièces de tapisserie armoriées, d'ailleurs « fort usées et gastées par la vermine », tendaient les murs de cette salle, et la table était couverte d'un tapis tissé « semé de bestes ».

La lingerie comprenait une quantité surprenante de lynceulx (draps de lit)» de nappes ouvrées ou unies, trente douzaines de serviettes, bonnes ou faillies, deux douzaines de chemises, 29 couvre-chiefz (bonnets de nuit), mais point de mouchoirs, les serviettes en tenant peut-être lieu. Parmi l'es meubles en bois de frêne et de chêne, coffres, chaises, bancs, escabeaux, charlictz (bois de lit), tables, dressoirs et bahuts, dont beaucoup ciselés avec art par les habiles huchiers saint-polilains qui ont façonné cette merveille, le chapier de la cathédrale de Léon, aujourd'hui conservé au musée de Cluny, feraient Je ravissement de collectionneurs modernes. Je relève une table
de Flandre ployante, une chaire garnie de cuir rouge, une « roue et ses pupitres », meuble de bibliothèque qui fait songeraux vers de Victor Hugo :
Et quoique l'Arsenal fasse, quand on en joue,
Tourner tant de néant sur son pupitre à roue.

La maison, dont l'une des chambres était dite « la chambre du doyen », renfermait six lits entièrement accoutrés avec couettes, courtes-pointes, tapis, oreillers, lodiers, courtines et ciels, sans compter plusieurs accoutrements de rechange. Quant à la vaisselle d'étain, plats, écnelles; saucières, bassins, flacons, esgouttcuYs, maîtres Bernard, Hamon et-Nicolas Uheffret, pintiers, l'estimèrent valoir 87 Mvres dix sols. Une « chapelle de
plomb pour faire de l'eau de rose », ainsi qu'une « cuve de letton pour mectre le vyn en l'esté rafreschir », nous apprennent qu'Hamon Barbier n'était pas eninemi d'un certain raffinement.
Cette cuve est le seul article notable de l'article des uslensiles d'airain, poêles, broches, pots et crémaillères, se termine par la mention assez imprévue de « quatre barnoys donl y a deux d'hommes d'armes et les deux auttres à la Iégière ».
L'existence de ces équipements guerriers dans l'hôlel d'un pacifique chanoine s'explique par ce fait qu'en sa qualité de curateur du jeune Louis Barbier, son oncle devait présenter une lance de trois ou quatre cavaliers aux revues ou montres de l'arrière-ban du Léon, qui avaient lieu presque chaque année à Saint-Pol, Lesneven ou Saint-Renan.

L'inventaire a pour épilogue un acte qui nous montre les parents d'Hamon Barbier se partagent, afin d'exécuter les legs stipulés par son testament, les espèces d'or contenues dans deux boîtes dont l'une provenait de son logis de Nantes, C'est un nouveau ruissellement de monnaies aux noms prestigieux, ducats, doublons, nobles à la rose, spadins, philippus, angelots, croisades, nobles Henry lions, désirés et saluts. Mais la vraie richesse du vieux thésauriseur n'était pas là. Elle résidait surtout dans les titres de propriété, contrats d'acquêt, fermages, afféagements qui dormaient sous double clef, rangés en bel ordre, au fond des coffres de son estude.

A une époque où la morale réprouvait le prêt à intérêt, la fortune territoriale était considérée comme la plus sûre et la mieux assise et c'est en consacrant Son épargne à l'achat de biens au soleil, manoir comme celui de Kerc'hoent, au Minihy de Saint-Pol, convenants, pièces de terre, rentes foncières, que l'excellent Hamon Barbier constitua à son neveu et pupille le magnifique patrimoine dont les revenus régulièrement perçus permirent à Louis Barbier d'édifier, en un labeur de patience et de volonté tenace qui dura peut-être vingt ans et plus l'Anet breton.

L. LE GUENNEC.

Mary Stuart à Roscoff

Le 28/12/2020

LA CHAPELLE DE MARIE STUART A ROSCOFF

Les plus modestes chapelles de Bretagne ont leur histoire ou leur légende; elles se rattachent presque toutes, qu'elles soient perdues au fond des bois, au milieu des landes ou à l'extrémité des promontoires granitiques qui mordent la mer sauvage, à des faits glorieux dans les annales militaires ou religieuses du pays breton, à des traditions populaires d'une grâce exquise, imprégnées toujours de la plus suave poésie. Les pèlerinages, les pardons, les simples viages, les remplissent de souvenirs toujours vivants, malgré les défaillances de la foi et l'abandon lent mais progressif des anciennes traditions; toutefois la marée montante d'une civilisation ennemie du passé n'a pas encore submergé toutes ces modestes ecclésioles dont il est bon et utile d'évoquer, souvent, la douce et consolante histoire.

L'une de ces chapelles intéresse à la fois deux pays que leur ciel brumeux, leurs côtes découpées, battues par une mer houleuse, rapprochent beaucoup par leur configuration physique: la Bretagne et l'Ecosse: c'est l'oratoire de Saint-Ninien, en Roscoff, près de Morlaix. Mais, hélas! elle est vide et lamentable cette chapelle que l'histoire remplit pourtant d'un grand souvenir! Ce n'est plus qu'une relique en ruines, devant lequel le passant attristé murmure le vers mélancolique du poète: Etiam periere ruinée l »

Ge4fut la Révolution qui détruisit de fond en comble ce modeste oratoire, élevé, dit-on, à l'endroit môme où débarqua Marie Stuart, en 1458. Ses dimensions sont exactement de 14 mètres de longueur sur 6*33 de largeur ; aux heures troublées, l'intérieur fut saccagé par des mains impies; mais les murailles d'un solide et beau granit, extrait des flancs môme du sol qui les supporte, sont restées debout, comme pour témoigner de leur fidélité à l'âme pieuse qui les éleva; n'est-ce pas le seul monument que l'on doive à l'infortunée Marie Stuart et c'est un peu d'elle môme qu'elle laissa sur cette terre bretonne où elle fut accueillie avec tant de joie.

Cette relique, Lord Guthrie voudrait la conserver, larestaurpr; c'est presque un déshonneur de laisser ces murailles vénérables tomber par pans entiers ou servir de lieu d'affichage ou de dépôt à des choses sans nom. Et, cependant, ces ruines pourraient encore être sauvées; des trois fenêtres, l'une, celle de l'Est, côté du port, conserve encore un beau dessin; la porte d'entrée, vers l'Ouest, est bien conservée et à l'intérieur on remarque toujours deux autels de pierre.

Cette restauration serait accueillie avec joie et reconnaissance, croyons-nous, parla population de Roscoff qui conserve, sur deux autres points, le souvenir de la gracieuse souveraine descendue si jeune sur son rivage. Mais, tout d'abord, il était nécessaire que la tradition et l'histoire fussent d'accord. Marie Stuart étaitelle vraiment débarquée à Roscoff, dans le cours du mois de mai 1548' Les historiens anglais, écossais et français étaient en contradiction sur ce point; les uns voulaient que le débarquement eut eu lieu à Brest, les autres à Roscoff; mais voilà que deux documents ont été trouvés à la Bibliothèque Nationale à Paris, et qui démontrent, sans discussion possible, que Roscoff est bien l'endroit de la terre bretonne où la jeune Marie mit pied à terre; une lettre de Henri II, de France, datée de Turin, 24 août 1548, dit : « J'ay eu certaines bonnes nouvelles de l'arrivée en bonne santé de ma fille la royne d'Escosse au hâvre deRoscou près Léons, en mon duché de Bretagne, qui m'a esté tel plaisir que povez penser et croyez, mon cousin, qu'il ne m'a esté moindre d'avoir veu par vos lettres du XI* de ce mois, que je reçuez hier que tous • mes enfants se portent bien. — Escript à Thurin le XXIIIIde aoust 1548. — « Henry. » (Bibl. Nat.; fonds franç. 3.134, n° 12. — L'autre lettre est datée de Rossegouf, 18 août 1548 : elle est adressée à M. de Brezé ; elle dit : « Monseigneur, Estant les gallères arryvées en ce lieu de Russecou, je n'ay voulu faillir troys ou quatre jours après la descente de la petite reine d'Escosse les envoyer à Rouen pour entendre le commandement du Roy de ce qu'il luy plaira qu'ils facent » (Bibl. Nat., môme fonds 20.457, f. 121). 11 n'est pas douteux, pour tous ceux qui connaissent l'aitéralion des noms de lieu, que Roscou ou Rossegouf sont bien mis pour Roscoff.

Cette chapelle était sous le vocable de saint Ninien. Quel est ce saint? La meilleure forme du nom, d'après l'abbé Duine, hagiographeérudit qui a bien voulu nous renseigner, serait Niniaw; mais la forme Ninian ou Ninien e3t dans l'ordre habituel. La racine Nin est mentionnée daas la Ghrestomathie Bretonne de M. Loth. Saint Ninien ou Ninian, après avoir étudié à Rome et y avoir été consacré, serait revenu dans son pays d'origine, la Grande-Bretagne, et aurait établi son siège à Whitern (Galloway). D'après Miss Arnold Poster {Studies in Church Dedications), il serait le patron de Brougham, de Cury, de Penton, de Whitby.

A notre connaissance, il n'existe pas en Bretagne, ou en France, d'autre chapelle ou sanctuaire dédié à saint Ninien. Guérin (Petits Bollandisles) prétend qu'une des églises de Douai possède un reliquaire contenant un bras de ce saint. Cette particularité d'une seule chapelle en France, sous le patronage d'un saint honoré en Ecosse, n'est-elle pas une preuve presque absolue de l'origine étrangère de cet oratoire sur la terre française?

Une tradition populaire ou plutôt une gracieuse coutume se rattacherait encore au petit sanctuaire de Roscoff. Les femmes, les sœurs, les filles et les fiancées des hardis marins que donnent cette belle côte bretonne venaient, dit-on, après la messe célébrée à l'intention des absents, souffler sur la dalle poudreuse de l'oratoire et la direction prise par les grains de poussière disait quelle brise ramènerait celui qui s'était perdu sur l'immensité des flots! On voit, qu'à plus d'un titre, la chapelle Saint-Ninien est intéressante.

Les archives du Finistère renferment peu de pièces relatives à cet oratoire; aucun acte de fondation n'a pu être découvert. Il fut vendu comme bien national, le 5 thermidor an VII, et acheté pour la somme de 300 francs, par un sieur Hersant, fournisseur' des bois de la marine. Après avoir passé par différentes mains, elle fut acquise par M. Paul-Louis de Courcy qui lui a consacré une notice. Il la céda au département du Finistère qui en fit don, le 14 avril 1874, à la commune de Roscoff. Les ruines de la chapelle allaient être démolies et une école primaire construite sur son emplacement, quand de généreux Ecossais intervinrent; elle fut préservée de la destruction. Elle le sera encore une fois, espérons-le ; les Sociétés Savantes de Bretagne se sont émues et les Pouvoirs Publics semblent bien disposés en faveur d'une restauration. La Société Franco-Ecossaise tiendra, paraît-il, à honneur de prêter son puissant appui. Tout fait donc espérer que la petite chapelle sera reconstruite prochainement et que les nombreux Ecossais qui visitent la Bretagne n'auront plus la douleur de voir dans un état lamentable cet oratoire qui leur rappelle de grands et impérissables souvenirs.

Etienne Dupont.

Les déboires de Claude Créach

Le 13/11/2019

Natif de Kerhoant, Claude Créach fut le premier maire républicain de Saint-Pol de Léon, bastion royaliste. A peine avait-il fait passer sa liste entière que le citoyen Drouillard, châtelain de Kerlaudy, le relégua comme second adjoint pour prendre sa place....

Le journal Ar Wirionez s'amuse de la situation : La ville de Saint-Pol si calme d'ordinaire, est encore sous le coup d'une émotion profonde. Le maire républicain, M. Claude Créach, le même qui avait battu Ics conservateurs à plate couture aux dernières éleclions, en laisant passer la liste républicaine tout entière, M. Créach, dis-je, est déchargé de ses fonctions de maire par le décret qui nomine, en cette qualité, M. Drouillard, seigneur de Kerlaudy. Disons de suite, pour éclairer nos lecteurs, que M. Drouillard, qui habite la commuue de Plouénan, vient d'être élu conseiller municipal à Saint-Pol, en se faisant porter sur la liste de M. Créach. Et M. Créach, l'homme du peuple, acclamé partout, le «dompteur de la réaclton,» cornine l'appelait, le sous-prélet de Morlaix au lendemain des éleclions, en lui donnant l'accolade frateruclle, est piteusement relégué au rang de deuxième adjoint. Comme fiche de consolation, c'est maigre, et M. Claude Créach a dù faire d'amères réflexions sur la fragilité des grandeurs humaines ; car en vérité, le morceau est bien dur à digérer. Le bruit avait même couru, que mortifié du rôle de dupe qu'on lui avait fait jouer, ce bon M. Créach avait juré de planter là, sans plus de cérémonie, le rusé Bertrand au profit duquel, Raton inconscient, il avait tiré les marrons du feu. Mais cela ne faisait pas le compte du nouveau maire, qui avait besoin, pour quelque temps encore, des services de celui qu'il évinçait avec une désinvolture aussi charmante. Il a l'air tant et, si bien qu'il est parvenu à décider ce malheureux « bouche-trou » à avaler, sans sourciller, l'amère pilule qui lui était destinée. M. Claude Créach est et reste deuxième adjoint, ni plus ni moins. Pour ce qui est de savoir par quel genre de promesses ou de séductions, ce résultat important a pu être obtenu, on en est réduit aux conjectures les plus invraisemblables. Quoi qu'on dise, M. Créach aura su démontrer qu'on peut, en République, avec l'oubli des injures, pratiquer l'aplatissement dans sa plus large expression. L'installation du nouveau maire a eu lieu au son des cloches lancées à toute volée. O simplicité républicaine !

 

Le 4 mai 1881, le même journal Ar Wirionez commente une visite du préfet dans le ville sainte :

Notre correspondant de Saint-Pol-de-Léon, (...) nous a écrit que l'entrée de M. le Préfet dans cette ville avait eu lieu avec toute a pompe imaginable, et que ce haut fonctionnaire ne paraissait nullement animé de sentiments hostiles à l'endroit du clergé et de la religion, contrairement à ce que ce même reporter avait méchamment insinué. On a particulièrement remarqué le soin qu'a pris M. le Prélet d'aller rendre visite au 2° adjoint, l'honorable M. Claude Créach, retenu chez lui par une maladie subite. Nos lecteurs connaissent les tribulations de tout genre par lesquelles l'infortuné 2e adjoint a passé depuis sa nomination ; le souvenir précieux de cette visite préfectorale sera sans doute pour lui une juste et ample compensation des déboires dont l'avait abreuvé le gouvernement de la République dont il était cependant le plus ferme soutien dans celte ville, naguère encoreau pouvoir de la réaction. G. LE B.

Le Dr Jagu, cible de la presse catholique

Le 12/11/2019

Radical, époux successivement de deux sœurs Créach, voilà le Dr Jagu la cible de la presse catholique. Le Courrier du Finistère, organe de propagande catholique, publie en mai 1892 deux articles où le médecin est éreinté. Le premier porte sur un jugement en correctionnel à Morlaix. Et voici comment on rappelle les faits :

 

Le 17 janvier, un ivrogne, Jean Mingam, troublait par ses cris la cé­rémonie des vêpres à l’église parois­siale de Mespaul. M. l’abbé Messager, ne pouvant le faire taire, voulut le mettre à la porte et le poussa dehors. Mingam tomba et en tom­bant se fit une blessure profonde à la tête en se frappant contre une pierre. Un citoyen de Mespaul, bien connu pour ses sentiments anti-religieux, saisit cette occasion de créer des tracas à l'abbé Messager : après avoir laissé Mingam sans soin pendant 24 heures, il fit appeler le docteur Jacut, de St-Pol, radical et libre-penseur. En Esculape habile ce der­nier trouva moyen ae faire monter les frais de la maladie à 923 fr. 65 !!

Voilà du reste comment notre excellent confrère la Résistance de Morlaix, mieux placé que nous pour connaître de l’ffaire, apprécie ce ju­gement :

Le vendredi 6 mai, le tribunal de Morlaix a rendu son jugement dans la poursuite intentée à M. l’abbé Messa­ger, recteur de Mespaul.» Ce jugement, que nous publions in extenso, n'est pas de nature, oroyons-nous, à satisfaire beaucoup les man­geurs de prêtres, ceux qui se réjouis­saient de « voir un curé en police cor­rectionnelle.

Sans doute, M. le recteur de Mes­paul se voit obligé de payer une grosse somme, grosso pour un prêtre, dont la bourse est en général médiocrement garnie, allégée qu’elle est sans cesse par les aumônes et les contributions aux bonnes œuvres. Mais, cette lourde con­tribution est, à bien lire le jugement, oomparable à celle que devrait payer un homme qui, par simple imprudence, briserait involontairement quelque objet de prix. Il n’y a là rien qui entache l’honneur et compromette la considé­ration Encore, dans le cas présent, les frais à solder ne représentent-ils pas « la casse » à proprement parler, le dom­mage causé au pauvre ivrogne qui, par ses clameurs inconvenantes dans l'église a obligé le prêtre à le mettre dehors un peu vivement, comme nous ferions tous d’un importun, privé de sa raison, qui viendrait faire du tapage ohez nous

La grosse part des frais, dont M. le recteur de Mespaul est rendu respon­sable, va droit au médecin qui a eu l’heureuse fortune de soigner le blessé, c’est-à-dire à M. le docteur Jacut, de Saint-Pol-de-Léon, C’est un nom que nous avons plaisir à illustrer, car à en juger par la haute valeur qui s’attache à ses visites il égale pour le moins les praticiens les plus illustres du corps médical de Paris

M. Jacut s’entend à merveille, sem­ble-t-il, à pratiquer la saignée sur les bourses cléricales. Il lui a fallu trente-trois visites pour bien s’assurer que son client se ressen­tirait longtemps de sa chute et ces trente-trois visites, il les cote modeste­ment : cinq cents francs ! Bonnes gens du pays de Saint-Pol, ne vous cassez jamais la tête contre une pierre... à moins que vous n’ayez sous main quelque curé pour en payer les frais. Après avoir entendu M. Jacut et surtout après avoir entendu M. le pro­cureur de la République, il semblait que M. le recteur de Mespaul fut un criminel digne des plus grands châti­ments. La prison, du moins, la prison s’imposait, à ce qu’affirmait l’organe du ministère public, qui suppliait avec une énergie sans pareille messieurs les juges de l’imiter sur leurs sièges et de ne craindre ni les critiques de la presse catholique, ni même... la dynamite ! Ce que venait faire la dynamite en cette affaire, nul ne l'a su, M. le procu­reur ayant dédaigné de l’expliquer. On s’est contenté d’en rire...

 

Le même jour, le Courrier du Finistère enfonce le clou avec un second article où le Dr Jagu est mis en scène :

 

LES DÉSORDRES DE SANTEC

Depuis que M. Drouillard est rentré dans la vie politique, comme Wilson à Loches, par la petite porte de conseiller municipal de Roscoff, il nous faut si­gnaler les désordres causés par ses agissements. Dans notre dernier nu­méro nous avons raconté comment le samedi 14 mai il s’embarquait à St-Pol- de-Léon pour Roscoff. Le dimanche soir, vers les quatre heures, M. Drouillard, pour se consoler sans doute de l’échec qu'il venait d’essuyer le matin à Roscoff (il avait obtenu cinq voix), se rendit à Santec en compagnie du fameux Godec, autre­fois conseiller municipal à Saint-Pol, d'Allain Créach et de Morvan, mar­chands de vin à Saint-Pol, pour remercier les Santégois qui avaient voté pour la liste des Radicaux.

 

Après d'ampleslibations, on fit le tour du bourg en hurlant la Marseillaise. En tête du cortège était porté un drapeau, fourni, dit-on, par le docteur Jagu. Dans la foule, on remarquait M. Drouillard, ayant à ses côtés deux des plus grands... buveurs du pays. Quelques malins ajoutent même qu’il les aurait embrassé à différentes re­prises. Un moment donné, le porte-rapeau fut attaqué, et, s’il ne s’était pas retiré aussitôt, il y aurait eu rixe, le sang aurait coulé, car plusieurs de nos amis, rudes et solides gars redoutés dans le pays, trépignaient de colère en voyant notre drapeau ainsi promené par ces malandrins. M. Drouillard et ses compagnon»,s a­chant bien qu’ils ne seraient pas les plus forts, s’empressèrent de rentrer dans l’auberge de Charles Castel, pour se mettre à l'abri et se rafraîchir une dernière fois. Ils partirent pour St-Pol vers les 7 heures. Le calme se rétablissait peu à peu, lorsque vers les 7 h 1/2 Pierre Cam, l'opportuniste avéré, dans un état de surexcitation qu’expliquent les largesses de Drouillard, aperçut François Tanguy dans la cour de l'auberge de Charles Castel.

Sans aucune provocation de la part de ce dernier, Pierre Cam bondit sur lui comme un forcené et le renversa sur le dos. La tête de Tanguy porta sur un gros galet et le crâne se fendit ; aussitôt le sang jaillit par la bouche, le nez et les oreilles. Quelques braves gens le trans­portèrent chez lui ; vers les 8 h. 1/2 son état donna des inquiétudes à ceux qui l’entouraient. On alla quérir un méde­cin. Le docteur Jagu s'empressa de venir soigner le blessé. Mais il s’est bien gardé de lui prodiguer ses visites) fait à Mespaul, à l’occasion d’un semblable accident dont nous parlons aujourd’hui même. A Santec, le coupable est un oppor­tuniste et non un prêtre. De plus, c’est un pauvre hère qui souvent n’a pas un morceau de pain à mettre sous les dents, et M. Jagu tient à être payé. Pierre Cam passe pour un grand ba­tailleur et il y a plusieurs faits qui le prouvent. Le fils de François Tanguy et lui s'étaient querellés le dimanche 1er mai et avaient même échangé quelques coups de poing. A-t-il voulu se venger en s’attaquant au père le dimanche suivant ? On ignore le mobile de cet acte de sauvagerie.A ujourd’hui le blessé est hors de danger sans que le Dr Jagu ait fait pour 500 francs de visite : tant mieux. Le brave Tanguy se félicite peut-être, maintenant de n’avoir pas reçu plus de visites du célèbre docteur de Saint- Pol. Toujours est-il qu’aucune enquête n'a été faite sur ces incidents. Tanguy a été blessé, grièvement blessé et, qui plus est, il a été attaqué par Cam sans aucune provocation de sa part. Ainsi donc la justice qui a sévi si brutalement pour l’affaire de Mespaul n'a encore rien fait pour celle de San­tec : nos lecteurs en tireront la con­clusion. Quant à la petite ville de Roscoff, la voilà en passe de devenir célèbre. Nous conseillons à ses édiles de la débaptiser et de l’appeler Drouillardville ou Mou-chardsville : ce sera mieux

 

Nouvel article en juin 1892

 

Le Docteur Jagu, docteur-médecin et chef du parti opportuniste de St-Pol de-Léon. envie sans doute A M. Proudhon l'hon­neur de remplir nos colonnes de sa prose. Nous avons reçu samedi dernier la lettre suivante où le célèbre docteur vante tout A la fois son talent et sa charité, sans répondre directement aux critiques que nous avons formulées contre lui. Le D' Jagu a trouvé sans doute l'occasion bonne de battre un petit coup de grosse caisse en faveur de son cabinet et il réclame l'hospitalité de nos colonnes : nous serions en droit de mettre au panier une lettre quelque peu impertinente, mais le Courrier ne craint pas la riposte quand il attaque un adversaire : voici la lettre :
« A Monsieur le Rédacteur en chef du
Courrier du Finistère, Brest. Dans votre n° du 28 mai 1892 se trouve un article intitulé : « Les désordres de Santec », qui contient sur cer­tains faits électoraux des appréciations malveillantes dont je n'ai cure; mais qui soulève ainsi une question médicale a laquelle je dois une réponse. Vous écrivez en effet, à propos d’une rixe qui a eu lieu le dimanche 15 mai, à Santec, entre un sieur Le Gain et un nommé Tanguy. « La tête de Tanguy porta sur un gros galet et le crâne se fendit. Aussitôt le sang jaillit par la bouche, le nez et les oreilles, on alla quérir un médecin. M. le Dr Jagu s'empressa de venir soigner le blessé, mais il s'est bien gardé de prodiguer ses visites comme à Mespaul à l'occasion d'un semblable accident dont nous parlons aujourd'hui. A Santec, le coupable est un opportuniste et non un prêtre. De plus un pauvre hère..."

Puis quelques lignes plus loin : « Aujourd'hui le blessé est hors de danger sans que le Dr Jagu ait fait pour 500 fr. de visites. »

En un mot, vous avez voulu éta­blir identité entre les lésions de Tan­guy et celles de Mingam, la victime du curé de Mespaul.» C'est là, monsieur, de la perfidie au premier chef.

Oui, chez Mingam, le sang a jailli par le nez, la bouche et les oreilles. Il y a eu en plus écoulement du liquide céphalo-rachidien par l'oreille -Pourquoi avoir oublié dans votre parallèle ce dernier symptôme ?) C'est à dire qu'il y a eu fractures de la base du crâne (fractures de l'occipital et du rocher).
Chez Tanguy, pas une goutte de sang n'a jailli, ni par le nez, ni par la bouche, ni par l'oreille. Il y a eu une simple plaie du cuir chevelu, pas l'ombre d'une fracture. Autrement dit, chez l'un il y a eu blessure à pronostic des plus sombres ; chez l’autre, une lésion à pronostic de la plus entière bénignité. Sont-ce la des accidents de semblable nature, comme vous le dites et l'écri­vez. Pourquoi donc ces mensonges ? Pour exécuter votre programme : ca­lomniez, il en restera toujours quelque chose, et surtout pour essayer de me nuire. Pour essayer de me nuire, lorsque vous insinuez que le coupable est un pauvre hère et non un prêtre... que je n’ai pas fait au blessé Tanguy pour 500 francs de visites, etc. Eh bien, Monsieur, si Tanguy eut eu besoin de 1,000 francs de visites, je me serais empressé de les lui faire. Apprenez que la médecine est le premier des sacerdoces, qu'elle Ignore le pauvre et le riche, qu'elle commence par soigner et ne connait que le malade et vous m'obligez à vous le dire si, personnellement, j'ai pu rendre quel­ques services chirurgicaux, c’est le pauvre qui en a surtout profité et j’espère qu'il en bénéficiera encore. Cela vous gêne même peut-être que j’aie soulagé parfois des infortunés., Cela vous gêne, surtout, que |e sois honoré d'une certaine confiance. C'est qu'à Santec, comme à Mespaul, je pra­tique de la médecine loyale, honnête et aussi dévouée que possible ; que le pauvre comme le riche me trouve tou­jours à sa disposition. J'entre chez les gens par la grande porte, jamais par escalier de service. Celui qui me l'indiquerait, serait du reste mal venu. Faites donc aussi de la polémique loyale : Cessez calomnies et petits moyens qui ne trompent, croyez-le bien personne. Je crains toutefois que cela ne vous soit difficile.» Veuillez agréer Monsieur le Rédac­teur en chef, l'assurance de ma parfaite considération.» Dr A. Jagu PS Je vous prie et au besoin vous requiers d'insérer ma réponse dans votre prochain numéro.» Dr A. Jagu »
Voilà qui est fait, le Dr Jagu va être content ; mais le Diafoirus opportuniste se moque des bonnes gens de Santec en disant que : « Chez Tanguy pas une goutte de sang n’a jailli ni par le nez, ni par la bouche, ni par l'oreille. En effet chez Tanguy le sang ne sor­tait ni de la bouche, ni du nez, etc., mais de la plaie au cuir chevelu, plaie assez profonde puisqu’il était inondé de sang et dans un tel état qu'on courut chercher le prêtre pour lui donner les Sacrements. Le D' Jagu
n’arriva, lui, que deux heures après l'accident I! Il dit que nous avons voulu lui nuire. Vraiment non et l'insertion de sa longue lettre en est la preuve. « La médecine » est le premier des sacerdoces, dit-il ; et il ignore le pauvre et le riche. » Voilà de bons sentiments qui lui font honneur et qu'on ne lui connaissait pas encore ; tout St-Pol va être émer­veillé. Le D' Jagu mérite donc le titre de « Médecin des Pauvres »; déjà à St- Pol on lui a donné celui de « Médecin des hydropiques », personne ne s'en­tendant mieux que lui à découvrir une hydropisie ignorée. Enfln, à St-Pol l'autre jour, on me demandait si le Dr Jagu n’allait pas se retirer après fortune faite, les hono­raires de la maladie Mingam ayant dû lui laisser quelque bénéfices. On dit en effet que l'éminent Docteur aurait acheté une auberge maintenant à son nom : il serait donc tout à la fois méde­cin et aubergiste : c'est vraiment trop d'honneur. Comme je ne suis pas très au courant des faits de mon honorable correspon­dant, je lui renvoie la question : les colonnes du Courrier lui sont ouvertes. Tout St-Pol attend ses explications.A défaut de malades, it ne doit pas avoir tous les jours la bourse d’un curé à saigner : je suppose qu'au milieu de ses nombreuses occupations il trouvera encore le temps de m'écrire. — A. D.