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Mary Stuart à Roscoff

Le 28/12/2020 0

LA CHAPELLE DE MARIE STUART A ROSCOFF

Les plus modestes chapelles de Bretagne ont leur histoire ou leur légende; elles se rattachent presque toutes, qu'elles soient perdues au fond des bois, au milieu des landes ou à l'extrémité des promontoires granitiques qui mordent la mer sauvage, à des faits glorieux dans les annales militaires ou religieuses du pays breton, à des traditions populaires d'une grâce exquise, imprégnées toujours de la plus suave poésie. Les pèlerinages, les pardons, les simples viages, les remplissent de souvenirs toujours vivants, malgré les défaillances de la foi et l'abandon lent mais progressif des anciennes traditions; toutefois la marée montante d'une civilisation ennemie du passé n'a pas encore submergé toutes ces modestes ecclésioles dont il est bon et utile d'évoquer, souvent, la douce et consolante histoire.

L'une de ces chapelles intéresse à la fois deux pays que leur ciel brumeux, leurs côtes découpées, battues par une mer houleuse, rapprochent beaucoup par leur configuration physique: la Bretagne et l'Ecosse: c'est l'oratoire de Saint-Ninien, en Roscoff, près de Morlaix. Mais, hélas! elle est vide et lamentable cette chapelle que l'histoire remplit pourtant d'un grand souvenir! Ce n'est plus qu'une relique en ruines, devant lequel le passant attristé murmure le vers mélancolique du poète: Etiam periere ruinée l »

Ge4fut la Révolution qui détruisit de fond en comble ce modeste oratoire, élevé, dit-on, à l'endroit môme où débarqua Marie Stuart, en 1458. Ses dimensions sont exactement de 14 mètres de longueur sur 6*33 de largeur ; aux heures troublées, l'intérieur fut saccagé par des mains impies; mais les murailles d'un solide et beau granit, extrait des flancs môme du sol qui les supporte, sont restées debout, comme pour témoigner de leur fidélité à l'âme pieuse qui les éleva; n'est-ce pas le seul monument que l'on doive à l'infortunée Marie Stuart et c'est un peu d'elle môme qu'elle laissa sur cette terre bretonne où elle fut accueillie avec tant de joie.

Cette relique, Lord Guthrie voudrait la conserver, larestaurpr; c'est presque un déshonneur de laisser ces murailles vénérables tomber par pans entiers ou servir de lieu d'affichage ou de dépôt à des choses sans nom. Et, cependant, ces ruines pourraient encore être sauvées; des trois fenêtres, l'une, celle de l'Est, côté du port, conserve encore un beau dessin; la porte d'entrée, vers l'Ouest, est bien conservée et à l'intérieur on remarque toujours deux autels de pierre.

Cette restauration serait accueillie avec joie et reconnaissance, croyons-nous, parla population de Roscoff qui conserve, sur deux autres points, le souvenir de la gracieuse souveraine descendue si jeune sur son rivage. Mais, tout d'abord, il était nécessaire que la tradition et l'histoire fussent d'accord. Marie Stuart étaitelle vraiment débarquée à Roscoff, dans le cours du mois de mai 1548' Les historiens anglais, écossais et français étaient en contradiction sur ce point; les uns voulaient que le débarquement eut eu lieu à Brest, les autres à Roscoff; mais voilà que deux documents ont été trouvés à la Bibliothèque Nationale à Paris, et qui démontrent, sans discussion possible, que Roscoff est bien l'endroit de la terre bretonne où la jeune Marie mit pied à terre; une lettre de Henri II, de France, datée de Turin, 24 août 1548, dit : « J'ay eu certaines bonnes nouvelles de l'arrivée en bonne santé de ma fille la royne d'Escosse au hâvre deRoscou près Léons, en mon duché de Bretagne, qui m'a esté tel plaisir que povez penser et croyez, mon cousin, qu'il ne m'a esté moindre d'avoir veu par vos lettres du XI* de ce mois, que je reçuez hier que tous • mes enfants se portent bien. — Escript à Thurin le XXIIIIde aoust 1548. — « Henry. » (Bibl. Nat.; fonds franç. 3.134, n° 12. — L'autre lettre est datée de Rossegouf, 18 août 1548 : elle est adressée à M. de Brezé ; elle dit : « Monseigneur, Estant les gallères arryvées en ce lieu de Russecou, je n'ay voulu faillir troys ou quatre jours après la descente de la petite reine d'Escosse les envoyer à Rouen pour entendre le commandement du Roy de ce qu'il luy plaira qu'ils facent » (Bibl. Nat., môme fonds 20.457, f. 121). 11 n'est pas douteux, pour tous ceux qui connaissent l'aitéralion des noms de lieu, que Roscou ou Rossegouf sont bien mis pour Roscoff.

Cette chapelle était sous le vocable de saint Ninien. Quel est ce saint? La meilleure forme du nom, d'après l'abbé Duine, hagiographeérudit qui a bien voulu nous renseigner, serait Niniaw; mais la forme Ninian ou Ninien e3t dans l'ordre habituel. La racine Nin est mentionnée daas la Ghrestomathie Bretonne de M. Loth. Saint Ninien ou Ninian, après avoir étudié à Rome et y avoir été consacré, serait revenu dans son pays d'origine, la Grande-Bretagne, et aurait établi son siège à Whitern (Galloway). D'après Miss Arnold Poster {Studies in Church Dedications), il serait le patron de Brougham, de Cury, de Penton, de Whitby.

A notre connaissance, il n'existe pas en Bretagne, ou en France, d'autre chapelle ou sanctuaire dédié à saint Ninien. Guérin (Petits Bollandisles) prétend qu'une des églises de Douai possède un reliquaire contenant un bras de ce saint. Cette particularité d'une seule chapelle en France, sous le patronage d'un saint honoré en Ecosse, n'est-elle pas une preuve presque absolue de l'origine étrangère de cet oratoire sur la terre française?

Une tradition populaire ou plutôt une gracieuse coutume se rattacherait encore au petit sanctuaire de Roscoff. Les femmes, les sœurs, les filles et les fiancées des hardis marins que donnent cette belle côte bretonne venaient, dit-on, après la messe célébrée à l'intention des absents, souffler sur la dalle poudreuse de l'oratoire et la direction prise par les grains de poussière disait quelle brise ramènerait celui qui s'était perdu sur l'immensité des flots! On voit, qu'à plus d'un titre, la chapelle Saint-Ninien est intéressante.

Les archives du Finistère renferment peu de pièces relatives à cet oratoire; aucun acte de fondation n'a pu être découvert. Il fut vendu comme bien national, le 5 thermidor an VII, et acheté pour la somme de 300 francs, par un sieur Hersant, fournisseur' des bois de la marine. Après avoir passé par différentes mains, elle fut acquise par M. Paul-Louis de Courcy qui lui a consacré une notice. Il la céda au département du Finistère qui en fit don, le 14 avril 1874, à la commune de Roscoff. Les ruines de la chapelle allaient être démolies et une école primaire construite sur son emplacement, quand de généreux Ecossais intervinrent; elle fut préservée de la destruction. Elle le sera encore une fois, espérons-le ; les Sociétés Savantes de Bretagne se sont émues et les Pouvoirs Publics semblent bien disposés en faveur d'une restauration. La Société Franco-Ecossaise tiendra, paraît-il, à honneur de prêter son puissant appui. Tout fait donc espérer que la petite chapelle sera reconstruite prochainement et que les nombreux Ecossais qui visitent la Bretagne n'auront plus la douleur de voir dans un état lamentable cet oratoire qui leur rappelle de grands et impérissables souvenirs.

Etienne Dupont.

 

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