A Kermorus...

 Kerhoant, sur le cadastre et au recensement, faisait partie de la section H dite de Kermorus. Une légende voulait que jadis, un souterrain reliait les deux manoirs. Sans aller jusque là, écoutons Marie-Josepuje Quillévéré raconter ses jeunes années à Kermorus...

La maison natale à Kermorus

Située à quatre kilomètres de la ville, sur la route de Landivisiau, elle fait partie d'un ancien manoir. Construite sur cave, elle n'avait au rez-de-chaussée qu'une pièce unique. Dans la grande pièce, au Nord, face à l'entrée, on pouvait voir une rangée de trois lits clos... La grande table, elle, avait sa place, au Sud, entre deux petites fenêtres. Au fond de la pièce, on apercevait la grande cheminée.

Deux bancs étaient accostés aux lits clos, bancs coffres ou bancs avec portes et placards. La réserve de pommes de terre avait sa place ainsi, au-dessous des lits clos. Exception faite pour celui des grands-parents qui, le plus proche du foyer, n'avait pas de façade : on pouvait donc y loger les fagots de bois et d'ajoncs, pour alimenter la cheminée, seule source de chaleur.

Celle-ci servait aussi pour la préparation des repas, faire bouillir la lessive et chauffer la maison. Vous pouvez imaginer les marmites, cocottes et autres casseroles toutes enduites de suie et de fumée. Ces chaudrons et cocottes étaient raclés intérieurement à l'aide d'une coquille de bernique. Après la cuisson de la bouillie ou lorsque les pommes de terre avaient "collé".

 

 

Dans les lits clos, point de sommiers : de la paille bien rangée et une couette garnie de balle d'avoine que les marchands de Guiclan ou de Saint-Thégonnec vendaient sur les places de Saint-Pol, au mois de septembre. Les lits étaient refaits une fois par an avec de la paille fraîche et la couette de balle d'avoine bien bourrée, nous avions tout juste la place pour nous glisser entre la couette et le plafond du lit-clos mais c'était souple et ça sentait bon... Hélas ! La literie se tassait assez vite...

Les sommiers et les couettes de plumes de sont arrivés qu'après la guerre 1914-1918.

Au plafond noir de fumée de la pièce à vivre étaient suspendue une grand planche pour ranger les miches de pains de 14, 15 livres. On y plaçait aussi "ar blonnegen", c'est-à-dire de la graisse de porc salée qui servait pour la soupe aux choux et à cuire les pommes de terre.

Pendant la guerre, il fallait aller chercher le pain à Kerellec (5km à pied) et souvent attendre la fin de cuisson de la fournée. C'était aussi la ruée et la bagarre comme dans tous les temps de crise, pour savoir qui serait servi le premier !

Des escaliers en pierre menaient à la pièce unique de l'étage. Celle-ci n'avait qu'une seule grande fenêtre. Les armoires étaient alignées tout autour de la pièce. Chaque adulte avait la sienne pour y ranger ses costumes et affaires. Au fond, se trouvaient deux lits de côté surmontés de baldaquins desquels pendaient de larges rideaux de coton blanc qui permettaient de préserver une toute relative intimité. On trouvait aussi parfois une berceau près du lit des parents, un table ronde au centre de la pièce, dans un coin une vieille machine à coudre, plus tard, suprême luxe, une table de toilette avec un miroir.

Le 11 novembre 1918 est resté gravé dans ma mémoire... C'était un lundi. Grand-mère et ma sœur étaient au lavoir, occupées à leur lessive. Tout à coup, les cloches s'étaient mises à sonner à toute volée... A Vilar-Grenn, les carriers étaient sur la butte et criaient : "Echu ar brezel ! La guerre est finie ! Dans la famille, il y avait de la joie et des larmes mêlées, on pensait à celui qui ne reviendrait pas !

A Creach-ar-Mezec, le drapeau tricolore flottait à la fenêtre. Moi, je cherchais le mien, minuscule, et je le plantais dans le mur, près de la porte...

De la naissance à l'école

Ni clinique, ni maternité pour les accouchements. C'est à pied ou à cheval que le futur papa doit aller prévenir la sage-femme, "an amiegez". A Saint-Pol, à l'époque, j'en connaissais deux : Mme Godec qui portait la coiffe de la ville et Mme Cozic, une bourgeoise avec un chapeau. Entre temps, on allait également chercher une parente ou une voisine experte en la matière. C'est sur le banc, devant le lit clos ou sur la table de la cuisine que la sage-femme intervenait. Auparavant, les jeunes et les enfants étaient confiés à des voisins. Ne grande marmite d'eau était portée à ébullition ; certaines sages-femmes, entre autres, Rode de Plouénan, demandaient une bouteille ayant contenu du rhum ou de l'eau de vie pour servir à la toilette de l'accouchée.

C'est devant le feu de cheminée que l'on faisait la toilette du bébé. Le bain était inconnu. Une bassine et une lingette faisaient l'affaire. Une fine brassière dite "créés" sans doute par rapport à la toile de lin léonarde, une brassière de laine tricotée, une autre brassière en piqué blanc, une grande couche en coton, des langes plus ou moins épais selon la saison, et le fameux "luren", sorte de longue bande de tissu ou de coton tricoté avec lequel on ficelait le bébé, voilà quels étaient les vêtements du nouveau né. Ils étaient transformés en momie : il fallait bien serrer le tout pour éviter les luxations de la hanche, si répandues en Bretagne ! J'ai entendu dire que, quelques années auparavant, même les bras étaient emmaillotés!

Vers trois mois, on commençait à habiller bébé pour la journée, pour la nuit, retour à la momie. Jusqu'à environ trois ans, les garçons et les filles portaient des jupes et des jupons sans rien dessous... Vers trois ans, le garçon étrennait son premier pantalon en velours très souvent. Tout fier, il allait se montrer aux voisins et revenait, tout penaud, lorsque faute d'avoir pu se défaire à temps, il était victime de la grande marée !

Mes grands-parents se vouvoyaient tout le temps. Les enfants aussi disaient "vous", "c'hwi", aux parents et grands-parents.

Tad koz savait lire et écrire ; il parlait un peu le français. Ma grand-mère savait lire, mais le breton seulement ; elle ne savait pas écrire. Mes parents avaient fréquenté l'école primaire jusqu'à 11/12 ans, l'un chez les Frères de Ploërmel, près de l'actuel Cheval blanc, ma mère chez les Ursulines, dans les bâtiments de l'actuel lycée du Kreisker.

Groupe d'enfants à Sainte-Ursule

Pour moi-même, vers l'âge de sept ans, c'était l'école: l'angoisse ! Quatre kilomètres à pied, par tous les temps et sans savoir un mot de français ! L'angoisse aussi pour les parents !... Une voisine plus âgée était chargée de me chaperonner et de m'initier à ma nouvelle vie. En hiver, c'est avec la lanterne-tempête qu'on me conduisait jusqu'à la route... Le soir, la nuit était déjà tombée lorsqu'on rentrait... Le plus pénible, c'était lorsque les sabots frottaient nos chevilles, quelquefois ensanglantées, auxquelles collaient nos gros bas de laine. Toutefois, à la belle saison, nous avions le droit à des chaussures plus légères, et même parfois à des espadrilles.

Le matin, maman mettait dans nos sacs une tartine pour la récréation de 10 heures, des tranches de pain enveloppées dans un mouchoir pour la soupe de midi, une autre tartine avec du beurre ou de la confiture pour le retour à 16 heures. L'état de cette tartine, je ne vous le décris pas : avec la confiture, elle était trempée et toute délavée ; avec du beurre, ce n'était guère plus appétissant !... En été, celui-ci avait fondu et en hiver, pain et boulettes de beurre se promenaient chacun de leur côté....

Ne pas parler français n'a pas été un grand handicap pour la scolarité. Un enfant a, je croix, des facilités pour apprendre les langues. Je vous raconte quand même une petite anecdote : la classe chez les Ursulines commençait toujours par la prière ; on y faisait de nombreuses invocations... Lorsqu'il s'agissait des Saints, il fallait répondre :"Priez pour nous !" aux Saints Anges Gardiens: "Assistez nous !" Je ne comprenais pas ce que je disais mais, toute fière de ma science, j'expliquais à ma petite sœur que lorsqu'elle irait à l'école, il faudrait répondre "ar systernou" aux Saints Anges Gardiens !

Pour nous protéger de la pluie, nous avions une grande cape en gros drap bleu marine. Elle dégoulinait dans nos sabots ! Nous avions quelquefois des bas de rechange, parfois les sœurs nous les séchaient dans la cuisine. Le soir, le papa avait toujours quelque chose à réparer : les courroies des sabots ou les cartables.

Vers douze ans, j'ai eu mon premier vélo, mais il fallait apprendre à s'en servir. Quelle aventure ! Plusieurs fois, comme tous les autres, je suis allée "embrasser les enfants du cantonnier", comme on appelait alors les cailloux de la route. La dernière année, c'est donc à vélo que je faisais les trajets, et, le soir, mon père avait encore le vélo à réparer, car, avec les nids de poules et les clou semés par les sabots, il en fallait des rustines !

Les fêtes religieuses et profanes

Le baptême avait lieu habituellement le lendemain de la naissance. Bien emmailloté sous la robe de baptême qui servait de génération en génération, le bébé était confiés à la nounou, "ar vagerez", bien au chaud sous un grand châle de laine blanche qui, lui aussi, servait à tous les bébés de la famille, l'enfant accompagné du père, du parrain et de la marraine, faisait sa première sortie. La cérémonie terminée, on faisait sonner les cloches ; celles-ci étaient refusées lorsque les époux avaient organisé un bal lors du mariage, ou si l'enfant avait été conçu avant celui-ci. Autres temps, autres mœurs.

Pour la première communion, par de repas spécial avant les années 1919/20. C'est la mère souvent qui accompagne seule l'enfant. D'ailleurs, entre la messe de communion à 8 heures, la grand-messe à 10 heurs, le Rosaire à 13 heures suivi des Vêpres et de la procession, il ne restait pas beaucoup de temps libre !

J'accompagnais souvent ma grand-mère à la messe de 6 heures le dimanche. Ah ! Qu'il était bon le café au lait qu'elle m'offrait chez Janik de Kergus ou chez "Suter" ! De grand-mère, j'avais deux sous pour acheter des bonbons, de la réglisse, des noix, des fèves ou des châtaignes grillées,emballées dans du papier journal, chez "Paludik" ou chez Marie Jeanne de Plouénan, qui habitait rue du Pont-?Neuf.

Au mois de septembre, deux grandes promenades en carriole avec mes parents : le pardon de la Salette (toute une expédition) et la visite à N.-D. De Prat-Coulm. Nous prenions un bain de pied à Toul-an-Ouc'h... Au moulin de l'Evêque, nous faisions trempette dans la rivière l'Horn (c'est là qu'une fois une sangsue s'est collée à mon pied... quelle frayeur ! C'est de ce côté-là aussi aussi que nous avons ramassé des mûres et des noisettes avec grand-mère.

L'hiver venu, c'était le temps des veillées. Après une journée de travail en commun, la soirée se terminait par des parties de cartes ou de dominos. Aux environs des fêtes de Noël, on s'invitait aussi pour une soirée de jeux ; celle-ci se terminait alors par un "?koant", un bol de café ou de thé avec tartine de beurre ou de lard.

Ce que j'aimais surtout, c'étaient les veillées en famille. J'en garderai toujours la nostalgie !!! Le repas du soir terminé, la vaisselle rangée, Tad Koz ou maman commençait la prière du soir. Tous à genoux, autour de la table, devant la cheminée, nous y participions , en breton bien sûr ! L'été, la prière était assez courte, les gens étaient trop fatigués... elle se rallongeait au moment de la Toussaint.

La vie était très dure à cause du travail et du manque de confort. Mais toute la famille était réunie : grands-parents, père et mère, oncles et tantes, enfants... Une lampe à pétrole, une flambée dans l'âtre, on se sentait vraiment bien ! Les femmes tricotaient ou préparaient leur trousseau, le grand-père fumait la pipe qu'il allumait d'un morceau de braise dans la cheminée... Mon père avait toujours quelque chose à réparer : sabots, cartables, chambres à air de vélo, pièces de harnais. Mamans, assise devant la cheminée, préparait le petit dernier pour la nuit.

A une période, nous cultivions un peu de chanvre, "kanab" en breton. On en faisait des cordes pour les besoins de la ferme. Le soir, les hommes cassaient la tige du chanvre pour en séparer les fils qu'ilz liaient par poignées. Le bois de la tige de chanvre était de l'épaisseur d'un crayon. Les enfants étaient chargés d'en faire des bâtonnets de 15 à 20 cm de longueur. Grand-mère faisait fondre du souffre dans une grande coquille de bernic posée sur la braise. Elle y trempait chaque bout des bâtonnets qui servaient ensuite d'allumettes. Celles-ci étaient rangées dans un vieux sabot fixé au mur dans la cheminée. Il fallait de la braise pour enflammer ces allumettes-là. Et gare ! Si nous avions le malheur de les jeter sans avoir utilisé les deux bouts.

Nous étions pauvres mais solidaires. Une naissance ou une maladie dans la famille ou le quartier : la maîtresse de maison lui rendait visite en apportant dans son panier du sucre, du café, de la chicorée, quelquefois un gâteau. C'était une façon de participer aux frais, il n'y avait pas de sécurité sociale pour les exploitants en ce temps-là ! Elle a été mise en place en 1959, après l'électricité en 1950 et avant l'eau courante en 1972 !

Beaucoup d'autres anecdotes me viennent en mémoire, mais il faut terminer en résumant.

La vie était dure, les marques d'affection n'étaient pas de mise, jamais de bisous ni de câlins dans la famille, mais la tendresse était diffuse. Nous étions jeunes et heureux, sans eau courante, sans électricité, sans radio, sans téléphone, sans télévision, sans ordinateur, sans Internet....

Puis-je me permettre, pour finir, une réflexion personnelle ? Chassez de votre cœur toute envie, toute convoitise, toute haine et toute amertume. Vivez en paix avec les autres, avec Dieu et avec vous-même.

 

Et si c'était là le secret du bonheur ?

C'est, à coup sûr, celui de la sérénité !

Marie-Josèphe TANGUY-QUILLEVERE

Source : bulletin des Ursulines

Date de dernière mise à jour : 18/04/2024

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