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Procès de Querhoent contre ses vassaux

Source : Pays d'Argoat n° 59 / Vincent Prudor – avril 2013.

Si les récents travaux sur la révolte des Bonnets rouges remettent en cause l’ampleur de la répression des troubles par le pouvoir royal, il demeure néanmoins que, dès septembre 1675, certains seigneurs profitent de la présence des troupes commandées par le duc de Chaulnes pour faire valoir leurs intérêts face à leurs vassaux.

Le document ci-dessous, transcrit dans sa forme originale, en est un exemple. Le 12 février 1688, Sébastien de Kerhoent, marquis de Coetanfao, en Séglien, et seigneur de Loguevel, en Locarn, intervient dans le procès opposant ses domaniers à Grégoire Jannou, le meunier de sa seigneurie. Le litige porte sur l’obligation qui leur est faite de recourir à ce moulin alors qu’il est situé « hors la banlieue », c’est-à-dire hors des limites imposées par la coutume. Cette exigence est d’autant plus incompréhensible qu’elle n’apparaît pas dans les aveux et dénombrements que Sébastien de Kerhoent soumet aux commissaires de la réformation du terrier de Bretagne en novembre 1682.

Transcription du Procès

Contredits pour messire Sébastien (mot illisible), cheff de noms et d’armes de Kerchoent, chevalier seigneur marquis de Coatanfao intervenant, aux escrits et produits, (mots rayés) de Charles Le Borgne, François Le Moal, Paul Quéré, Yvon Coz filz, Janne Jégou, Anne Le Coz, Françoise Jan veuffve de deffunt François Le Menez, François Robin, Rolland et Marie Le Moal, Jan, Goulfen et Louise Le Godec, Margueritte Le Merer, Janne Le Sidanner, Pierre Moisan et François Le Tiec, Yves Moisan, Anne Gueguen sa femme, et François Guillou et Marie Lauset veuffve, déffendeurs, contre Grégoire Jannou de (?) principal et à l’incident de lettres de François Le Moal et Paul Quéré.

Par les productions des parties deffenderesses, Il se voit qu’elles ne se servent point de mesmes deffenses, car Charles Le Borgne et consorts scavent que leurs procès n’est pas soutenable et ne se fondent que sur les lettres du 3eme 7bre dernier prinses contre la déclaration du 22eme 7bre 1675.

Et Yves Moisan et François Guillou et femmes veulent soutenir que leurs auteurs ne sont pas dénommés dans ladte déclaration de 1675 et qu’ils sont hors la banlieue du moulin dud. Seigneur, et ne s’y estre jamais sousmis.

Comme tous les deffendeurs à la réserve de trois et veulent prévaloir des dtes lettres royaux, il est à propos de commenier par lux, et de faire voir au siège que les d. lettres sont nulles, défectueuses, obreptices, et subreptices.

Elles sont obreptrices et subreptrices en ce qu’on y a déguisé, et tronqué la vérité et adjoussé de faux faits en recelant les véritables. Prenant les qualités des parties denommées dans les d. lettres le siège voira qu’il n’y a que Paul Quéré et François Le Moal de desnommés, avec ce mot « et autres » leurs consorts vassaux de la seigneurie de Loguevel.

Or le dt seigneur intervenant soutient que ces mots (et autres) sont trop vagues et qu’il n’y que les dénommés dans les d. lettres qui s’en peuvent prévaloir qui sont les d. Moal et Quéré, parce que les rescripts des princes sont des graces qui ne se doivent extendre qu’aus seuls impétrans et comme ces mots et autres consorts se pourraient expliquer differament (mot illisible) en les apliquant à touts les vassaux de Loguevel qui sont au nombre de (mot rayé) trois cents ou environ dont il n’y a pas la septieme partie au procès, ce qui seroit d’une dangereuse conséquance.

Si on les veult appliquer à touts ceux qui sont dénommés au procès. Il se trouve que Yves Moisan et femme, François Guillou et Marie Lauset qui sont parties au procès ne se veulent pas prévaloir des d. lettres.

Si ces (mot illisible) ne s’appliquent qu’aux consorts des dits Moal et Quéré comme ils n’ont (mot rayé) à voir que dans deux ou trois tenues, et qu’il y a plus de traise tenües qui se veulent exempter de suivre le moulin dud. Seigneur qu’ils ont suivi de tout temps, il n’y auroit que les déttenteurs des d. deux ou trois tenues qui s’en pouroint servir.

S’ils s’efforcent de dire qu’ils entendent que ces mots (et autres) comprennent les noms de touts ceux qui plaident actuellement à la réserve des trois personnes cy de plus dénommées, le dit seigneur leur répond que les premiers termes de l’exposé de leurs lettres sont faux, sur ce que ils avancent que Grégoire Jannou meunnier du moulin de Kergrois les a appellé et convenu pour suivre le distroit dudt moulin.

Car le dt seigneur subioine en l’endroit les actions que le dit Jannou a fait aus d. deffendeurs, il y a une première du mois de may 1679 qui est vers les seuls dettenteurs de Loguevel Bihan qui voulurent discontinuer d’âller aud. moulin pendant que tous les autres deffendeurs suivoint le d. moulin. La seconde est du vingt et quatre septembre mil six cents quatre vingt et six qui comprend plusieurs autres, et qui fait le subjet de ce procès. Mais on n’y trouvera pas que le nom de François Robin qui (mot rayé) se qualifie de partie au procès, soit comprins dans aucune action, (mots rayés), ainsi il est faux sauft correction d’avancer qu’ils ont esté convenus pour suivre le distroit du dt moulin.

Et on peut demander au dt Robin comme il est partie au procès car il n’est ni deffendeur, ni demendeur par les demandes, cy de plus on a prouvé qu’il n’est pas deffendeur, et pas parmi les actes produits au procès il ne paroit aucune demande precedentes ni d’intervention de la part dudt Robin, qu’une simple requeste signiffiée au procureur dudt Jannou qui n’est pas controllées ainsi outre le faux exposé des d. lettres.

Il se trouve qu’il doibt cent livres d’amande pour n’avoir pas controller son intervention. (Subloim ?) les d ; deux exploits chiffrés et cotés a.a.2 .p

Venant au fond des lettres le siège voit qu’elles roulent sur un faux exposé entier qu’ils n’ont aucunement prouvé lorsqu’ils allèguent qu’ils n’ont point estés révoltés, qu’ils n’ont fourni déclaration au seigneur intervenant que pour marquer leurs soubmissions que le dit seigneur a sugéré au nottaire par un esprit de dols et de fraude d’emploier en leurs déclarations qu’ils se soubmettoint à la suitte de son moulin, même hors la banlieue, qu’ils n’y ont jamais consenty, et que cette clause a esté adjouttée contre leur volonté par des nottaires de Coatanfao quoy qu’ils ne relèvent pas de la dte terre, ainsi de celle de Loguevel. Voilà sommairement les motifs de leurs lettres.

Or le dit seigneur ne peut digérer ni souffrir une injure si sanglante, de voir que l’effronterie de ses vassaux aille au point de soutenir qu’il a suggéré un faux acte, car il soutient que les impétrants denommés dans les d. lettres ayants formellement contesté avoir consenti, ni donné aucun gré de les soubmesttre à la suitte du moulin de leur seigneur même hors la banlieue, et soutenu que cette clause vient de la sugestion dudt seigneur.

Ils ne peuvents se pourvoir par lettres de restitution, mais (mot rayé) sont tenus d’inscrire le dit acte de 1675 de faux, ce qu’ils sont sommés de faire.

La raison est que les princes n’ont accordé les lettres de restitution et de recission qu’à ceux qui vont contre leur propre faits et avouent avoir consenty un acte ou obligation par suasions, dols ou fraude, et comme ils dénient avoir consenti le dit acte, ils doivent estre décheus du secours des dtes lettres, et n’ont que la de voie de faux.

Et sans se départir de la de exception sur laquelle le d. seigneur requiert estre préalablement fait droit, il exposera sommairement la faussetté des faits qu’ils ont allégué en disant qu’ils n’ont point esté révoltés puisque tout le canton l’estoit, et qu’ils doivent leurs vies et leurs biens à leur seigneur qui a eü la bonté de cacher leurs séditions.

C’est encor une imposture d’avancer qu’ils n’ont fourni la déclaration de 1675 que pour marquer leur soubmission, car ils estoint contraints et obligés par la nature du fieff, et de leur serment de fournir déclaration à chaque changement de seigneur, en ce rencontre la terre de Loguevel escheut en ce temps au seigneur de Coatanfao, par la mort d’un de ses cadets qui en avoit joui paisiblement sans que les deffendeurs eussent pansés à s’exempter de la de suitte de moulin.

Ainsi, ils n’ont fait que leur devoir en fournissant la de déclaration de 1675 et se soumettant à la suitte du dt moulin même hors la banlieue qu’ils suivoint de précédent. Et quoyque le dit seigneur de Coatanfao ne soit aucunement tenu, ni obligé de se justiffier son innocence en l’endroit des d. vassaux rebelles, il veut faire voir au siège l’impossibilité des dits faits, car bien loing d’avoir esté le 22e septembre 1675 en son château de Coatanfao, il prouvera qu’il estoit en ce temps auprès de Monseigneur le duc de Chaulnes qui l’envoya en ce temps de la ville de Quimper désarmer quinses ou saize paroisses révoltées : ainsi il luy estoit impossible de suggérer des clauses d’actes à des nottaires de Coatanfao en l’évêché de Vannes.

Si on considère le dit acte du 22eme septembre 1675, le siège jugera qu’il estoit impossible qu’aucun nottaire eust inséré une silabe dans le corps dudit acte sans le gré des parties car le premier qui y parle est Missire Germain Guillou ptre déttenteur de la tenue Jaffray à Quenecanbleih, les autres y avoint conviés Missire Yves Guillou l’aisné et le jeune deux ptres de leurs parents et interessés dans les des tenues, et comme les ptres sont les moteurs de toutes affaires de la campagne, sont instruits de touts leurs droits, et de ceux de leurs parents ils n’auroint eü garde de faire la de déclaration et s’y emploier la clause expresse de se soubmettre à la suitte du moulin dud. Seigneur même hors la banlieue.

C’est encor une illusion d’avancer que les nottaires de la juridiction de Coatanfao n’ont pas peü obliger les d. vassaux, égard qu’ils n’en relèvent pas, car c’est errer contre la maxime du palais et l’usage général du royaume de soutenir que toutes parties ne puissent pas contracter devant les nottaires et tabellions ou elles se rencontrent, et d’une proposition si absurde il faudroit insérer qu’un domicilié de cette ville seroit obligé de venir de Paris ou Rennes pour s’obliger par acte devant nottaires, en la ville (de) Carhaix, ce qui est ridicule.

Et même la coustume de cette province donne (mot illisible) plus grande liberté puisque par l’article dix elle permet à toutes personnes de se soubmettre à la juridiction du juge, au distroit duquel ne sont demeurants, ni justiciables.

Après avoir prouvé la nullité et incompre (?) des d. lettres, fait voir leur déreglement et qu’il n’y a que la voie de faux à prendre contre la déclaration de 1675, relevé les faux faits avancés dans les d. lettres par les impétrans le dit seigneur propose encor une nullité contre les d. lettres par une abondance de droit qui est sans réponse.

Cette nullité se prend de ce que les impétrants ont laissé écouler douze ans entiers sans se pourvoir contre l’article 286 de la coustume y est formel sans qu’on puisse alléguer les causes de dols, forces ou violence car il n’y a aucun acte qui parle de forces, violence ni dols, il auroit fallu, en retournant du lieu ou ils se prétendroint violentés, faire une déclaration devant les juges, ou nottaires de leur domicille comme ils auroint passé le d. acte par violances ce qui ne se rencontre pas. L’article 207 est encor plus formel puisqu’il déclare que les récisions de contracts et distracts se prescrivent par laps de dix ans, et que cette prescription courrera contre les mineurts et autres ainsi il y a encor une folle intimidation évidente contre les d. lettres en ce que l’acte est du 22. 7bre 1675 et les lettres du 3 septembre 1687 qui font douze ans entiers fors dix neuff jours.

Or, demeurant pour constant que les d. lettres sont obreptrices et subeptrices et nulles, défectueuses et hors le temps, il faut insérer que la déclaration de 1675 demeure dans sa force et teneur et que les d. (mot rayé) déffendeurs doivent estre condamnés conformément à la de déclaration aux fins de la demande dud. Jannou meunnier.

Venant à Yves Moisan, Anne Gueguen, et Marie Lauset veuffve Mathurin Clévédé, le seigneur intervenant resence de faire voir que leurs auteurs ont parlé dans le d. acte de 1675 et soutient que les d. deffrs ayant de tous temps suivy le moulin en question sans aucune opposition. Ils sont non recevables à présent à demander qu’ils soint déchargés de la de suite.

Aux moyens conclut à ce que les d. deffrs soint déboutés de leurs lettres royaux tant par folle intimisation que les nullités et raisons cy de plus alléguées et qui seront par justice suplées et que sans y avoir égard les d. deffendeurs soint condamnés de suivre le distroit du d. Moulin de Kergroas encor qu’ils soint hors la banlieue par provision et dépense et que au surplus les fins et conclutions prinses par l’exploit du d. Jannou lui (mot illisible) par même provision, dépenses et interests refusant les autres droits et actions, et de le pourvoir par les voies de droit contre l’insolence des vassaux.

Toussaint Le Roux, ad t en la cour, reçut huit livres dix sols.

Signiffié et déllivré coppie à Me Pierre André, procureur advier (?) à ce qu’il n’en ignore en parlant à son clerc (mot illisible) en son estude cy à Carhaix, ce jour (mot rayé) douziemme (mot rayé) fevbrier mil six cent quatre vingt huit, (mot illisible) troix (mot illisible) Thépault

Ce genre de texte n’est pas toujours accessible à la lecture, ni à la compréhension, pour le commun des mortels, qui ne pratique pas les archives.

Néanmoins nous avons voulu vous « initier » au travail auquel s’adonnent les passionnés d’histoire pour permettre aussi aux béotiens de prendre connaissance de celle-ci. Pour une meilleure compréhension, il est souvent nécessaire de lire le texte à voix haute.

Ci-dessous quelques définitions de mots inusités :

Ainsi, autant par ses affirmations que par ses dénégations, Sébastien de Kerhoent nous livre d’intéressantes indications sur les suites immédiates de la révolte des Bonnets rouges dans la région de Locarn :

Elle a concerné un grand nombre de domaniers,

Mais l’urgence imposait que l’essentiel des troupes soit déployé dans la région de Quimper,

Toutefois, un acte notarié semble bien avoir été imposé aux domaniers de la seigneurie de Loguevel le 22 septembre 1675, les prêtres jouant le rôle de médiateurs.

Comme souvent en de pareils cas, les domaniers usent de leur force d’inertie pour ne pas se conformer aux exigences de leur seigneur et ce n’est qu’en réponse à une action en justice intentée, près de 13 ans après les faits, par Grégoire Jannou, le meunier, qu’ils remettent en cause l’acte du 22 septembre 48

Contredits : au pluriel = Écritures servant de réponses à la production de la partie adverse ( en fait il s'agit des conclusions en réponse)

22ème 7bre 1675 : 22 septembre 1675

ladte : la dite

banlieue : hors des limites imposées par la coutume (hors étendue de l'obligation)

Dtes : dites

Commenier par lux : terme médical, briser en petits morceaux Obreptices : grâces obtenues en taisant une vérité

Subreptices : grâces obtenues en disant un fait faux

Adjoussé : ajouter

Rescripts : à la base : Une réponse du pape sur quelque question de théologie, pour servir de décision ou de loi. On nomme également ce rescrit Bulle ou Monitoire. par extension : un avis du pouvoir royal.

Impétrans : Celui, celle qui a obtenu des lettres du prince, ou quelque bénéfice

Tenues : pièce de terre, et plus largement une ferme (bâtiments et terres)

Le distroit du moulin : étendue soumise à une juridiction ou une obligation (= district)

Seigneur subioine : le seigneur participe à l'action en justice intentée par le meunier

Esprit de dols : tromperie, fraude

Lettres de restitution et de recission : Restitution = Jugement qui relève quelqu'un d'un engagement qu'il avait contracté. recision = cassation

Ptres : prêtres

Récisions de contracts et distracts Par laps : par tranches

Nous ne connaissons pas le jugement porté sur ce litige mais il démontre, comme d’autres, que les rapports entre les seigneurs et leurs domaniers se tendent fortement à la fin du XVIIème siècle et au début du XVIIIème siècle au bénéfice des premiers, alors que la période précédente, même si elle n’était pas exempte de procès, donnait plus l’occasion aux parties de conclure leurs différends par un compromis.

Vincent PRUDOR. – avril 2013.

Archives départementales des Côtes d’Armor – 2 E 512. Je remercie Jérôme Caouën de m’avoir transmis ce document.

ii voir notamment les travaux de Gauthier Aubert, enseignant à l’université de Rennes 2. Son mémoire en vue de son habilitation à diriger des recherches porte précisément sur les révoltes du Papier timbré et des Bonnets rouges et leur répression. Je le remercie de m’avoir communiqué son travail relatif à la partie rurale de ces évènements.

Iii Grégoire Jannou a pris à ferme le moulin de Kergroas, en Duault, le 14 novembre 1676 moyennant un fermage de 150 livres tournois (Minu et déclaration des terres de Loguevel du 7 août 1677 transcrit par Jérôme Caouën).

Iv Archives Nationales – Domaine de Carhaix – P 1544 volume 6 – page 325 et suivantes.

V Par exemple, l’Arrêt du Parlement de Rennes du 15 juin 1694, connu sous le nom d’Arrêt de Lostanlen, institue l’obligation qui est faite au convenancier congédié de payer la totalité des frais de prisage lorsque la tenue sous domaine congéable relève de l’usement de Poher. Par ailleurs, certains seigneurs n’hésitent pas à contrefaire

les mesures des grains, bases des redevances en nature, comme l’atteste le factum rédigé par René-François Le Guyader en 1711 contre Guillaume Charrier, abbé de l’abbaye Sainte Croix de Quimperlé et à ce titre, seigneur de Callac : « … De sorte que le boixeau en pierre excède la description outrée faite par le procès-verbal 1°. d’un demy poulce en profondeur. 2°. d’un demy pied de circonférence intérieure par le bas. 3° de trois poulces par le haut ...»

(Archives départementales des Côtes d’Armor – 85 J photographié par Jérôme Caouën.

Date de dernière mise à jour : 25/05/2021

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