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Les tribulations du calvaire

Le plus ancien habitant connu de Kerguennec est un « honorable marchand » du nom de Yves Rolland. Vers 1600, il épouse Catherine Bourland. En 1619, le couple fait élever un calvaire à l'entrée du chemin menant à Kerguennec. Ainsi peut-on considérer Yves Rolland comme le propriétaire, voire même le constructeur du manoir. Le calvaire qui porte son nom disparut à la Révolution et on le crut à jamais perdu. En 1881, au même emplacement, Tonton Job Guivarc'h, un habitant de Kerguennec, fit élever une nouvelle croix, celle que l'on peut voir actuellement. Et puis en avril 1971. coup de théâtre. L'ancien calvaire est retrouvé. Dans le bulletin paroissial d'avril 1971, La voix de Sainte-Barbe, l'abbé Jean Feutren nous parle ainsi de cette découverte inattendue :

« Le 24 Mars 1971, les cantonniers qui effectuaient les travaux de voirie au carrefour de Kerguennec ont exhumé deux pièces de l'ancien calvaire Croaz-Paol sis en cet endroit. Le souvenir s'en était conservé d'une croix à personnages.

Sur son emplacement un homme pieux, Joseph Guivarc'h “Tounttoun Job” avait fait dresser en 1881 l'actuelle croix de fonte.

Un vieux frêne voûté, ounn en breton, courbé par les vents d'ouest, incline doucement sa ramure par-dessus la croix, lui faisant l'office de baldaquin.

La première pièce arrachée à la glaise fut le Nœud de la Croix. La pelleteuse ne tardait pas à dégager une statue décapitée. Il s'agit d'un saint Jean évangéliste, reconnaissable aux revers de son col. Ce dernier bloc est haut de 63 cm. La base est creusée d'une petite cavité profonde de 4 centimètres et de section elliptique d'axes 5 et 6 centimètres. La console, ou branche qui portait Jean à gauche du Christ était creusée d'une cavité identique. Un goujon de pierre long de 8 cm, bloqué à la chaux sans doute, assurait la stabilité de la statue. Une Vierge de douleur lui était symétrique,

Jean est taillé en ronde-bosse, c'est-à-dire que le dos lui-même est travaillé. Il arrive souvent que les personnages au pied de la croix soient au nombre de quatre, adossés deux par deux et taillés dans un seul bloc. Ce n'était pas le cas ici.

Le sculpteur a adopté le parti le plus simple il a joint les mains donnant ainsi à l'évangéliste une attitude figée.

Le Nœud est une pierre tout à fait remarquable et vient enrichir notre documentation. Nous ne connaissons pour l'instant aucun nœud de Croix qui lui soit apparenté.

Cette découverte laisse ainsi entrevoir que le massacre général des Croix et calvaires par la Révolution française rend impossible d'établir, à partir des monuments existants un tableau satisfaisant des styles que pratiquèrent nos sculpteurs. On peut espérer qu'une fouille sous la croix actuelle livrerait au jour d'autres morceaux du calvaire : crucifix, vierge, console et peut-être cavaliers et larrons.

Le Nœud faisait partie intégrante du fût, chose rare. A lui seul il est un monument. Quatre personnages y sont taillés : la Véronique avec la sainte Face, sainte Catherine d'Alexandrie avec sa roue, saint Yves et un ange qui porte l'inscription du couple donateur :

Y. ROLLAN
K. BORLAV
DI SA FAME
FET FERE
LA CRV
1619

Les deux dernières lignes sont écrites sur le fût ; au verso de ce lambeau de fût on voit un insigne marchand de 14 x 18 cm.

Nous avons trouvé trace dans les archives municipales d'Yves Rolland et de sa femme Catherine (K.) Bourlaudi; ils se seraient mariés en 1600. En l'absence de cet acte, nous avons, sur les indications des Annales roscovites, retrouvé deux actes de baptême de filles du couple : Le 2 novembre 1603 et le 19 Avril 1607. Les actes sont en latin. Jeanne (1607) eut pour parrain un “Honorabilis Mercator” (Honorable Marchand). Son père en était un lui-même. Grâce à ces actes nous avons reconstitué le nom de la “FAME” de Rolland.

Il est tout naturel qu'ils aient représenté leurs patrons sur la Croix.

Le nœud mesure 81 cm de haut ; les statues font de 50 à 53 cm. Le haut du nœud est un fort tenon, haut de 9,5 cm et de section circulaire de diamètre 17 cm.

Note : François Allain m’a fait remarquer qu’il restait en bas des morceaux d’un tenon identique à celui d’en haut. C’est la preuve qu’il y avait au moins deux branches à la Croix et donc probablement des cavaliers.

Sur le volumineux tenon du nœud s'encastrait une console qui reposait sur une couronne débordante de 5 cm et prenait aussi appui sur la tête de sainte Catherine et de Saint Yves, qui dépassent la couronne de 5 autres centimètres.

Était-ce la seule branche de la croix, celle qui portait Marie et Jean, le crucifix reposant lui-même directement sur le tenon ? Celui-ci nous parait assez important pour qu'il ne soit pas invraisemblable d'imaginer une 2e branche plus haute qui aurait porté le Crucifix avec les larrons et peut-être des cavaliers, comme à Loc-Mélar.

Mais une certitude reste, il y avait à tout le moins une console. Des fouilles permettraient peut-être à partir d'autres découvertes, de dépasser les conclusions actuelles. La circonférence du fût cylindrique était de 73 cm. »

Après cette découverte, l'ancien calvaire de Kerguennec trouva place près de la chapelle Sainte-Anne, sur le port de Roscoff.

Un mot enfin sur la croix que l'on peut voir aujourd'hui au carrefour de la route de Kerguennec. Yves Autret en parle ainsi dans Croix et calvaires du Finistère :

2656. Kerguennec E, Croix-de-Tonton-Job, f. g. 1881. Entourée d’une grille. Trois degrés. Socle cubique. Croix de section carrée, fleurons, peinte en blanc, crucifix. Plaque sur le devant: DONATION PAR JOSEPH GUIVARCH 1881 (Joseph se dit Job en breton). Lors de la rectification du carrefour furent trouvés les vestiges de l’ancienne croix.

( A suivre )

 

Date de dernière mise à jour : 16/08/2021

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