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Les dolmens de Keravel

Menaces avec arme, dynamitage... Choyés des antiquaires et des cartophiles, les dolmens de Keravel eurent une fin tumultueuse. S'ils ont aujourd'hui disparu, victimes de la cupidité, ils restent bien campés dans les mémoires. Evocation...

Ils étaient là depuis la nuit des temps. Et pourtant, ce n'est qu'à partir de Napoléon qu'ils nous font signe. Les dolmens de Keravel figurent en effet au cadastre de 1809 sous la dénomination de table des druides. L'ensemble se trouve à trois cents mètres du lieu-dit Leslec'h prononcé autrefois An Nes Lech, autrement dit près des mégalithes.

En 1815, Bachelot de la Pylaie remit un dessin des dolmens de Keravel au chevalier de Fréminville. Ce fut un sujet de brouille entre les deux hommes. Mais laissons parler le premier :  « Il me restait toujours à remplacer dans ma collection de dessins celui que j'avais fait en 1815 du curieux dolmen qui se trouve entre Saint-Pol-de-Léon et Roscoff. En arrivant à Brest, je m'étais empressé de faire connaître ce beau monument à M. de Fréminville et de lui communiquer la vue que j'en avais prise... C'est une petit complaisance dont mon confrère a toujours oublié de me tenir compte. Peut-être cette circonstance serait-elle cause que c'est en quelque sort par Saint-Pol-de-Léon qu'il a commencé ses recherches sur les antiquités du Finistère.  »

Ainsi donc, les dolmens de Keravel auraient éveillé une vocation chez cet ancien officier de Marine, travesti à ses heures, et qui accumulait alors toutes sortes de notes. Fréminville visita notre région en 1826 et reconnut notamment le manoir et le moulin de Kerhoant ou encorela pierre du Diable, près du pont de Saint-Yves. Et puis il porta ses pas jusqu'au Parc-an-Dolmen : « Malheureusement, les pierres de ce monument ont été en partie dérangées et en quelques endroits on l'a enterré presque au niveau de sa plate-forme. on remarque sur une des pierres de cette plate-forme un déversoir pratiqué exprès pour l'écoulement du sang des vicitmes. En creusant la terre tout auprès on a trouvé une lame d'épée en airain mais qui était tellemnt oxidée qu'elle tomba en pièces quand on voulut l'enlever, une hache d'airain longue de cinq pouces six lignes et un de ces instruments singuliers aussi d'airain qui se rencontrent si communément sous les monuments celtiques et qui font le désespoir des antiquaires par la difficulté d'en deviner l'usage... »

En 1841, dans un champ voisin des dolmens, Pol de Courcy recueillit de petits bronzes datant de Gallien et de Salonine ainsi que Claude II, Dioclétien et Maximilien.

Dans ses Voyages romantiques dans l'Ancienne France, Taylor et Nodier ne pouvaient pas passer à côté sans nous en parler. Ils voient « quatre dolmens réunis et groupés symétriquement. Les deux premiers ouverts à l'est, et sur deux lignes parallèles touchent presque au troisième, le plus grand de tous, placé au centre. Une espèce de corridor obstrué par les ronces mène de ce dolmen dans le quatrième qui semble avoir été fermé à l'ouest... »

Au cadastre de 1847, l'allée figure tojours d'un seul bloc de 20 m de long. Le champ s'appelle Reuniou-Parc-an-Dolmen et appartient au sieur Duportal, de Rennes.

En 1864, W.-C. Lukis trace le plan de l'allée couverte. Lieu de sacrifice, Keravel ? Martin Doisy, inspecteur général des établissements de bienfaisance, fut conduit à Keravel par un Saint-Politain. En 1866, il confie partager le sentiment de Fréminville : « Les trois dolmens dont nous parlons en ce moment sont placés côte à côte. L'un est a demi renversé, l'autre n'offre, ainsi que les pierres druidiques, rien de remarquable. Sa surface est brute, comme celle de toutes les autres. Comme toutes les autres, elle est un peu plus longue que large. Mais il n'en est pas de même du troisième dolmen.

Sur sa face sont formés en creux la tête, le tronc, la croupe et les deux jambes d'un homme couché un peu sur le côté, un peu replié sur lui-même par le milieu du corps.Ainsi devait être placée la victime humaine dévouée au couteau du sacrificateur. A partir de l'extrémité de la forme humaine commence une rigole qui se continue jusqu'au bord extrême du dolmen. Là était déposé, évidemment, le vase qui recevait le sang répandu. Les instruments du supplice devaient être les petits haches de pierre polie, pointues d'un bout, tranchantes de l'autre dont on a conservé les modèles. Sur la face même du dolmen sont creusées la forme du cou et celle d'un des côtés de la tête, une sorte de demi-crâne. La pierre révèle que la victime présentait le cou au sacrificateur et que le sang était recueill au moment même où il sortait des veines. Une troisième cavité qui n'aurait pas de signification sans les deux autres mais que les deux autres expliquent dessine la croupe d'un homme. On aura une idée de sa profondeur si nous la comparons au vide d'un ancien fauteuil dont on a enlevé le coussin. Pour qui considère attentivement le dolmen de Saint-Pol-de-Léon, tel que nous venons de le décrire, la tradition des sacrifices druidiques est pleinement confirmée. Il n'y manque que le sang humain... »  Des chercheurs comme Corre réfuteront cette hypothèse. Pour lui, les cavités du plateau ne dessinent pas un jeu de gouttières et de godets. « Je n'ai reconnu dans ces particularités qu'un jeu de la nature...  » 

Le 12 août 1868, Daniel Le Hir fils met au jour, sous le dolmen central, une hachette en pierre, du charbon de bois et deux morceaux de silex...

En 1875, l'allée appartient à Hamon Pleyber, de Kergadiou-Keravel. Une famille qui quittera les lieux.

Le Dictionnaire archéologique de la Gaule, 1878, signale entre autre à Roscoff une allée couverte de 20 mètres de long, la plus belle du département. On fait manifestement allusion à Keravel. La même année, la Société académique de Brest brosse cet inventaire : « Au levant du Vénec, dans un champ nommé Parc-an-Dolmen (...) se voit une galerie couverte de 20 m de longueur est et ouest. Cette galerie est située à 300 m à l'ouest de la nouvelle croix de Kerfissiec qui se trouve sur la grande route de Roscoff à Saint-Pol. Divers débris de dolmens se remarquent dans un champ entouré de chemins, à 300 m N.-O. de la galerie. » 

En 1881, Clec'h réalise des dessins sur lesquels se penchent nos antiquaires. Les Le Guen, Rusunan, Le Goff, Flagelle, Chatelier s'y intéressent de près, répétant à l'envi les écrits de leurs prédécesseurs, parfois dans le désordre. Henri du Cleuziou, auteur de L'art national en 1882, dit des dolmens de Keravel : A Saint-Pol-de-Léon, sous la grande table (1) quatre supports se distinguent encore en place (fig. 37). A quelques mètres, les restes du monument se dressent, faisant rêver à une grotte funèbre de dimensions colossales. Au loin, on entend gronder les flots qui se brisent sur les rochers de la côte.

Fig. 37. — Domaine de Saint-Pol-de-Léon, route de Roscoff (Finistère).

(1) Ce dolmen de Saint-Pol est un de ceux que les amateurs de bassins considèrent avec le plus de componction comme un des spécimens remarquables dans ce genre. Nous avons dessiné avec un soin scrupuleux les fameux bassins de ce monument, et nous avouons ici naïvement n'y avoir rencontré qu'une chose extraordinaire c'est que la tête figurée dans la pierre avait la silhouette complète d'une Parisienne du XIXe siècle, avec chignon élevé et coiffure dans le dernier goût des petites dames de la fin du règne de Napoléon III.

La chasse aux bardes

A la fin du XIXe, les céréales encerclent de plus en plus près nos mégalithes. De quand date l'agacement du propriétaire à l'égard de la curiosité qu'elle suscitent ? Le 9 septembre 1905 s'ouvrit le congrès de l'Union régionaliste bretonne entre Saint-Pol et Roscoff avec des escapades aux châteaux de Kerjean et de Kerouzéré. Avec des débats souvent houleux. Chahutés par des intervenants extérieurs opposant l'Internationale au Bro goz. Philippe Le Stum prétend que le 13, les bardes se seraient retrouvés tout naturellement aux dolmens de Keravel. Quand soudain, brandissant son fusil de chasse, le propriétaire du champ d'oignons sort de sa ferme et boute l'envahisseur en toge blanche hors de Parc-an-Dolmen. Sur le monticule de la chapelle Sainte-Barbe, des ouvriers repoussent nos ovates aux cris de « A bas la calotte !» On ne retrouve pas trace de ces incidents dans la Dépêche de Brest. Il y eut bien une cérémonie druidique. Mais sur un îlot près de Perharidy prêté par Pierre d'Herbais, le maire de Roscoff. Là, on glisse dans un discours en breton : « Nous espérons que le temps viendra où les bardes ne seront pas obligés de se réfugier dans une île sauvage de la Manche pour faire revivre le culte de la tradition. » On pourrait y voir une allusion à notre anecdote ? Mais le Gorsedd des bardes essuie à cette époque de fréquentes critiques, à l'instar de l'Union régionaliste du reste, qualifiée d'anti-républicaine et d'anti-française par la gauche.

Le village de Keravel est composé d'une dizaine de fermes. En juin 1906, un crime crapuleux eut lieu dans l'une d'entre elles, quelque peu isolée. Un ouvrier agricole, Pierre Guivarc'h, assassina un homologue, Jean-Marie Urien, pour faire main basse sur l'argent de la maison appartenant à Joseph Jacq. Arrêté à Morlaix, l'assassin mourra après deux ans de bagne.

A la dynamite !

Alors que le dolmen de Kerangouez, de l'autre côté de Saint-Pol, fut classé monument historique en 1909 et reste de nos jours une attraction, ceux de Keravel n'auront pas cette chance. Pourtant, leur classement fut encore demandé le 24 janvier 1922 par la commission départementale des sites et monuments pittoresques réunie en préfecture. En août, alors que nos archéologues viennent d'inaugurer le musée de la préhistoire, à Penmarc'h, ils se rendent à Keravel au cours d'un périple de trois jours qui les mène jusqu'à Carnac, guidés par le commandant Devoir. Un homme qui fustige les démolitions de mégalithes observées alors ici ou là. Comme à Brignogan, Crozon...

Le 1er mars 1923, la Société archéologique du Finistère se réunit sous la présidence de Henri Waquet : « Une lettre de M. le Préfet informe la Société que l'intérêt du dolmen ou allée couverte dite de la Barrière ou de Keravel, près de Saint-Pol-de-Léon, n'a pas semblé suffisant à M. le Ministre de l'Instruction publique pour en justifier le classement, lequel n'aurait pu être prononcé qu'à la suite d'une expropriation. La Société s'étonne de ce jugement sommaire qu'elle s'efforcera de réformer. » Une nouvelle requête est donc introduite par Alfred Devoir. En vain. Il mourra quelques années plus tard sans avoir obtenu satisfaction.

Et c'est durant l'Occupation que se produisit l'irréparable. Les dolmens de Keravel disparurent du paysage. Mais on ne les oublia pas. En 1950 paraît une nouvelle, L'Hôtel du puits, de Raymonde de Rennes : « En fermant les yeux, elle se revoyait petite fille, pieds nus et courant sur la route de Kerestat à la poursuite des rares touristes, leur quémandant deux sous pour leur montrer les menhirs de Keravel... »

La région, nous dit Noël Spéranze en 1952, « fut habitée dans les temps préhistoriques par des néolithiques constructeurs de ces monuments que bien des chercheurs ont interrogée – souvent en vain – et qui auraient magnifiquement résisté au temps si les hommes les avaient toujours respectées. Il y a, dans le Léon, de nombreuses pierres levées qui témoignent de l'existence de ces peuplades préhistoriques et, dans les localités voisines de Saint-Pol-de-Léon, nous citerons Plougoulm, Cléder et Plouescat comme étant celles qui conservent encore les monuments de ces temps les plus dignes de l'attention des archéologues.

Ces peuplades sont fondues mais nous avons d'elles des haches de pierre polie trouvées à Lagat-Vran, en Roscoff, et une allée couverte assez bien conservée à Kerangouez en Saint-Pol-de-Léon. Il nous reste aussi le souvenir d'un menhir double à Kerrom, d'un cromlec'h avec menhir et dolmen, ensemble dit « sanctuaire druidique », près de la barrière de la Croix, et d'un triple dolmen à Keravel.

Si les menhirs de Kerrom ont disparu depuis de nombreuses années, par contre, les dolmens de Keravel furent détruits par le propriétaire du champ où il se trouvaient, pendant la dernière guerre, en 1943. Il avait pensé que l'ombre portée par ces pierres vénérables était préjudiciable, autant que les allées et venues des visiteurs, à l'exploitation du Park-an-Dolmen, dont les choux-fleurs et les artichauts avaient à ses yeux une valeur plus tangible. Victimes de l'âpreté du gain, les dolmens de Keravel ne subsistent plus que dans le dessin de Mona Eusa que nous insérons ici.

Par le chevalier de Fréminville, nous connaissons aussi l'existence, jusqu'au siècle dernier, d'un autre menhir dénommé Roskogoz, à Roscoff où nous l'avons vainement cherché. Comme d'autres, ce témoin des temps préhistoriques a disparu. Enfin, nous mentionnons un dolmen dans le parc de Kernevez, en Saint-Pol-de-Léon, non loin du bord de la mer. » Mais ce dernier, selon certains, serait une ornementation.

Spézance date de 1943 la destruction des dolmens de Keravel. Il est contredit par Sébastien Minguy : « En 1946, assure-t-il, ces derniers furent pulvérisés à la dynamite par le propriétaire des champs pour laisser ainsi plus de surface aux cultures. » Recteur de Roscoff, l'abbé Jean Feutren donne encore une autre version : « Le dolmen de Kéravel, comme on le dénommait, était à 300 mètres environ de Leslec'h, anciennement ce fut le village le plus proche du monument. Jusqu'à la guerre de 1939 ce dolmen fut une des grandes attractions touristiques du Pays de Saint Pol. Le propriétaire du terrain profita de la présence des Allemands pour faire débiter impunément les blocs et "débarrasser" son champ de ce monument qui le gênait; c'était en 1942. »

Les pauvres dolmens auraient été réduits en moellons. L'explication du propriétaire ? Henri Queffélec nous la donne dans l'un de ses ouvrages : « Mon Dieu, expliquait-il à un visiteur, surpris, on avait fait les choses en règle. Il avait demandé l'autorisation aux Allemands, les Allemands avaient dit qu'il pouvait démolir, que ça ne les gênait pas... »

En décembre 1948, la Société préhistorique française évoque l'affaire : « Le splendide monument (dolmen, ou allée coudée?)) ruiné de Keravel en Saint-Pol-de-Léon (Finistère) a été détruit il y a quelque temps par sa propriétaire. Il semble difficile de la poursuivre, car il y a doute sur la réalité du classement (ce serait trop long que d'expliquer ici ce mystère administratif).  »

Il ne nous reste de ces dolmens que des images qui inspiraient cette réflexion à  Alfred Devoir : « Les collections de cartes postales, dues à quelques éditeurs bretons, en ont fait connaître un certain nombre parmi les plus remarquables. C’est là de l’excellente vulgarisation, dont la science archéologique ne peut que se réjouir. »

 

 

 

 

Date de dernière mise à jour : 25/04/2021

Commentaires

  • Lionel Moal

    1 Lionel Moal Le 02/08/2023

    Bonjour.
    Je vous remercie pour cette documentation. Il y a plus d'une vingtaine d'années j'avais entendu parler de cette histoire. Cela m'a chagriné de savoir que j'avais grandi à deux pas d'un site mégalithique (j'ai passé mon enfance au 34 route de Santec). Actuellement, j'écris un roman qui se situe à St Pol, et il m'a tenu à coeur de parler de cette absence qui m'attriste encore.
    Savez-vous s'il y a des traces, ou tout au moins des indices de mégalithes sur la commune de St Pol et les communes limitrophes, sans parler de Cleder, ou Plouescat? Peut-on faire la supposition que le remembrement ait pu avoir un rôle dans d'autres potentielles disparitions.

    Très cordialement.
    Lionel Crenn Priser Moal.
  • Lionel MOAL

    2 Lionel MOAL Le 06/08/2023

    Bonjour.
    C'est encore moi.
    Au vu des photos et illustrations que vous avez publiées, je cherche à localiser le site mégalithique, selon l'angle dans lequel se présentent la cathédrale et le Kreisker.
    Peut-on dire qu'il pouvait se trouver entre le chemin de Kerminguy près de la route de Roscoff et la route de Keravel vers l'exploitation au 347 rue de Keravel?

    En vous remerciant d'avance.

    Lionel Crenn Priser Moal

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