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70 emplois à la merci des meuniers

Au Stang est installée une usine de teillage depuis 1852. L'entreprise est sur Saint-Pol. Les maisons des ouvriers sur Plougoulm. Le Stang traite le lin de toute la région. On y procède au broyage de la partie ligneuse. Ensuite, le teillage isole la fibre qui, peignée, donne la filasse prête à être transformée en fil, puis en toile dans des usines de tissage. Le résidu des peignes, l'étoupe, ar stoub, servira à faire des cordes. La culture du lin est restée prospère jusqu'en 1850 avant de décliner progressivement. Kerhoant sera la dernière grosse entreprise agricole à pratiquer cette culture.

En 1861, Alphonse Macé se plaint au préfet des usiniers supérieurs de Poullesqué et de Sinan qui, depuis 1856, "abusent, le plus souvent par méchanceté, de leurs eaux d'une façon tellement déplorable qu'il en résulte pour tous les moulins en aval un dommage inappréciable. Les deux meuniers en concurrence ouverte font tout pour se gêner réciproquement. Puis, après les justes observations que nous avons cru devoir leur en faire, victimes que nous étions de leur mésintelligence, ils semblent prendre plaisir à nous causer dommage... Prétendant que ces eaux sont leur propriété pour en disposer comme ils l'entendront. Suivant leur bon plaisir, nous inondent conséquemment en quelques secondes, nous forcent à lever nos vannes et nous font ainsi perdre sans profit des eaux qui nous seraient bien utiles. Bientôt, leur rivière est à sec. Ils remettent leurs vannes à fond et plusieurs heures s'écoulent avant qu'elle soit pleine de nouveau. Alors, et s'ils n'ont pas de mouture à faire ou lorsqu'ils l'ont terminée, ils lèvent encore leurs vannes de décharge." Conséquence: les 70 ouvriers du Stang sont au chômage de 9 h et demi à midi.

En 1862, Jean-Marie Riou, propriétaire et meunier de Kerellec, proteste contre un projet de réglementation demandé par Macé. "Le moulin existe depuis un temps immémorial", rappelle Riou qui l'exploite de son mieux sans se soucier du voisinage. Personne en aval. "En amont se trouve le moulin de Kerhoant à telle distance de Kerellec que le premier ne peut causer d'embarras à cette dernière propriété, ni celle-ci au moulin de Kerhoant."

Bref, personne ne nuit à Riou et Riou ne nuit à personne. C'est ce que rappelle le meunier de Kerellec en soulignant qu'au Stang, les Macé ont créé une usine à la place d'un vieux moulin. "Un bien pour le pays. Des études ont été faites avant l'ouverture. Elles convenaient à tous. Ils se plaignent à présent. Qu'ils estent contre leur voisin et ne fassent pas d'une affaire personnelle celle de tous les meuniers de l'Horn. Pourquoi venir modifier chez ceux-ci une possession consacrée par des siècles de jouissance. Pourquoi cette réglementation d'eau qui va amener des changements dans les barrages, qui va exiger des travaux et par conséquent des dépenses pour tous tandis qu'il ne s'agit que de l'intérêt d'un seul."

Riou, de Kerellec, n'est pas seul à s'opposer à ce projet de réglementation, Monsieur de Rodellec du Porzic, propriétaire du moulin du C'Hoënner, en Mespaul. A sa connaissance, aucune réclamation n'a jamais été soulevée contre l'élévation de l'eau qui alimente son moulin ni contre la manière dont ses meuniers en ont usé. Rodellec ne se plaint pas des autres moulins et demande le statu quo.

En termes rigoureusement exacts s'exprime Huon de Kermadec, propriétaire du moulin du Cosquérou, tenu lui aussi de temps immémorial à Mespaul.

Mis en cause par les Macé, Jean et Alain Caroff, du moulin de Poullesqué, fermiers de Kervéguen contre-attaquent en protestant auprès du maire de Plougoulm. Leurs arguments ? Les écluses du moulin du Stang sont beaucoup trop hautes. Du coup, "lors des grandes pluies, le moulin est forcé de chômer et leurs prés et prairies sont submergées continuellement. Ainsi, ils ne leur donnent pas le même produit ni la même qualité de fourrage que avant la construction de la dite usine du Stang."

Les mêmes désagrément sont dénoncés par Alain Le Lann, au manoir du Stang ainsi que les sieurs Raoul et Danielou, de Kervasdoué.

Saisi par Riou, le maire de Saint-Pol, Michel de Kerhore, lui donne satisfaction en décrétant le statu quo. Mais le préfet ne l'entend pas de cette oreille et ordonne une réglementation. Trois propriétaires sont mis en demeure de se soumettre aux prescriptions techniques de l'ingénieur en chef : la veuve Drouillard, demeurant à Paris, propriétaire du moulin de Sinan, la dame Séan de Blois, résidant à Morlaix et possédant Poullesqué, Enfin Barbier de Lescoët, de Rennes, propriétaire de Milin an Escop. Passé un délai de quinze jours, à défaut d'obtempérer, les frais d'études seront à leur charge. Aussitôt, la veuve Drouillard déclare s'y soumettre. On ne sait trop comment se termina l'affaire. Mais ces polémiques ne seront bientôt plus affaire de Françoise Perrot, veuve Créach. Née au moulin de Traon-Gall en 1807, sous Napoléon Ier, elle meurt sous Napoléon III au moulin l'Evêque, le 27 février 1863. Dès lors, le chef de ménage est son fils Jacques Créach, surnommé Jaké, Jakez...

Claude Moysan devient le patron

On se plaindra toujours dans la vallée de L'Horn. En octobre 1863, sans lien avec notre famille, le sieur Yves Créach, meunier-domanier au moulin de Sinan, locataire de la veuve Drouillard, indique aux autorités que sa prairie numérotée 15 est "actuellement submergée par les eaux qu'il ne peut y faire du foin quelque bonne que soit la saison." Les riverains de Créac'h sont Yves Roignant et Guillaume Bolloré. Sinan est situé entre le moulin du Gasves, à Plouénan et celui de Poullesqué tenu par Jean Caroff.

En 1866, au moulin de Kerautret, Claude Moysan, 30 ans, natif de Cléder, est cultivateur et c'est désormais lui le chef de famille. Il a épousé Félicité Créac'h, 27 ans, née le 27 janvier 1839 du deuxième lit de Joseph Créach avec Françoise Perrot. Le couple a déjà une fille prénommée Marie.

Le meunier reste François Créach, secondé par son frère Elie. Les domestiques : François Gardic, 50 ans, François Quéméneur, 28, Augustin Henry, 24, Pierre Moal, 25, Jeanne Branellec, 21. Ajoutons un enfant de 9 ans : Jean-Marie Guillermou.

Du Moulin l'Evêque aux zouaves du Pape

Fils du premier lit de feu Joseph Créach avec Isabelle Le Déroff, Elie Créach était boulanger au Moulin-L'Evêque quand, en 1850, il se marie avec Marguerite Guillerm,

Elie servira dans l'artillerie avant de devenir zouave pontifical le 29 juin 1867. Engagé dans la campagne de cette année-là, il participe à la bataille de Mantana et est contusionné aux reins en tombant d'un rocher le 3 novembre 1867. Cette bataille opposait les troupes françaises et pontificales aux Chemises rouges de Garibaldi qui voulaient intégrer les États pontificaux à l'Italie et faire de Rome la capitale du pays. Il fut battu.

Elie quitta l'armée le 15 juillet 1869. Tandis que se disputait sans lui la guerre franco-prussienne, son retour au moulin de Kerhoant aura été de courte durée. Marchand de vin sur la Grand-Place, son frère déclare le décès en mairie en compagnie d'Alain Créach, son cousin, cultivateur à Kerhoant. Elie n'avait pas eu d'enfants. Son épouse s'éloigne alors du manoir des Créach pour demeurer en ville, rue Botloré.

(A suivre)

 

 

Elie Créac'h a gravé son nom  à Milin an Eskop mais aussi au grand moulin de Kerhoant.

Date de dernière mise à jour : 24/05/2021

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