Un petit cadavre dans l'Horn

Le 15/04/2021 0

Pour éviter le deshonneur


Les époux Kerguillec, habitant au Stang, en Plougoulm, avaient antérieurement à leur mariage, célébré le 13 août 1921, entretenu des relations et la femme Kerguillec était à cette date enceinte de plusieurs mois.
Elle dissimula sa grossesse autant qu'elle le put et, d'un commun accord, les deux époux résolurent de faire disparaître l'enfant dont la naissance prématurée aurait jeté le déshonneur sur la famille.
La femme Kerguillec accoucha a son domicile, au terme normal, dans la matinée du 21 septembre 1921, en présence de son mari qui ne sollicita le secours de personne et aida seul sa femme à se délivrer.
La femme Kerguillec a déclaré qu'elle avait senti à ce moment l'enfant remuer, mais qu'elle ne l'avait pas entendu crier. Le mari confirmait les dires de sa femme. Tous deux crurent l'enfant mort. Le mari l'enveloppa dans un drap, le déposa dans une terrine qu'il jeta ensuite dans la rivière l'Horn qui passe près de leur habitation.

Jusqu'au 25 septembre, le fait demeura ignoré. Ce jour-là, le père de l'accusé aperçut le cadavre flottant sur l'eau et l'amena à la rive. Les constatations médicales ont établi que l'enfant était du sexe féminin, né à terme, vivant et viable, et avait largement respiré ; enfin, qu'il était mort par asphyxie.
Mais aucune trace de violence n'a été relevée sur le corps, et les causes comme les circonstances de l'asphyxie sont demeurées inconnues.
L'enquête amena la misa en cause des époux Kerguillec qui protestèrent d'abord contre le soupçon formulé à leur égard. La femme affirma n'avoir eu qu'une simple perte survenue au bout d'une grossesse de quatre mois. Quand le fait de son accouchement fut établi, Kerguillec, de son côté, nia que le cadavre retrouvé dans l'Horn fût celui de son enfant. L'un et l'autre ont dû reconnaître la vérité en présence des données de l'information, et finalement l'accusé a passé des aveux.

Les renseignements fournis sur son compte lui sont favorables. Pas d'antécédents judiciaires.

L'accusé est introduit.

Le président, M. le conseiller Cahierre, fait le récit détaillé des faits contenus dans l'acte d'accusation. Certains détails dénotent que l'accusé n'a passé des aveux que lorsqu'il lui a été  impossible de faire autrement, particulièrement en présence des déclarations du médecin-légiste. U prétend toutefois que seule sa femme désirait que sa grossesse ne fût -pas connue et que, s'étant lui-même absenté après l'accouchement, pendant un quart d'heure environ, il trouva l'enfant mort à son retour.

Les témoins

Le docteur Rolland, médecin-légiste, de Morlaix, appelé à visiter la femme Kerguillec sur invitation du juge d'instruction, conclut à un accouchement normal et indique que toutes constatations se refusent à admettre une perte de quatre mois. Appelé de nouveau lorsque l'enfant fut trouvé dans l'Horrn, le docteur Rolland n'a pas pu déterminer la façon dont l'enfant, né vivant et viable, est mort.
Un médecin a délivré imprudemment un certificat à la femme Kerguillec qui servit à celle-ci à établir son système de défense lorsque, au début de l'instruction, elle fut accusée d'infanticide.
Différents témoins sont entendus suivant pouvoir discrétionnaire : ce sont des parents de l'accusé et de sa femme, tous braves et honnêtes gens de nos campagnes.
La femme de l'accusé répond à voix basse aux questions de M. le président ; elle confirme ses dires antérieurs et c'est elle qui a eu l'initiative de la disparition de l'enfant.

— J'avais honte, dit-elle, d'avoir un enfant conçu avant le mariage.

— C'est maintenant qu'est la honte, répond M. le président; le mariage avait réparé la faute.

Le réquisitoire

M. le substitut Lépingle, après un réquisitoire très serré, au cours duquel, il fait nettement ressortir les mensonges du mari et de la femme, se demande â qui incombe la responsabilité du
crime « Autant a l'un qu'à l'autre, dit-il, le rôle de la femme Kerguillec ayant été aussi peu brillant que celui de l'homme ». Il demande un châtiment qui ne permette pas qu'on passe l'éponge sur les infanticides, avortements, etc., qui ont une répercussion sur la natalité français à tel point que les pouvoirs publics s'en préoccupent.

Kerguillec n'a d'ailleurs exprimé aucun regret.

La plaidoirie

Me Lefebvre, du barreau de Morlaix, démontre qu'il n'y a pas infanticide, mais simplement suppression d'enfant; il fait remarquer que l'enfant était mort au moment où il fut jeté à la rivière. Comme marin, Kerguillec a bien servi son pays. Comme homme dans la vie privée, rien que de bons renseignements.
Il le montre soumis à l'influence de sa femme et se sert très habilement de l'argument dont M. le substitut s'est lui-même servi dans son réquisitoire : la responsabilité de la femme Kerguillec.

M. Lefebvre demande l'acquittement de son client.

Le verdict

Après un quart d'heure de délibération, le jurv revient avec un verdict aftirmatif, à la majorité de une voix, en ce qui concerne la suppression d'enfaut. Les circonstances atténuantes sont admises à la majorité.

Kerguillec est condamné à un an de prison avec sursis.

 

 

Ajouter un commentaire

Anti-spam