Le crime de Plougoulm

Le 25/03/2021 3

Audience du 24 avril 1896


7" affaire. — La cupidité est le seul mobile du crime sur lequel le jury est appelé aujourd'hui à se prononcer.

L'accusé, qui se nomme Olivier Floch, n'a que 26 ans. Il habite le village de Kervasdoué, en Plougoulm. Il a pour défenseur M' Lefebvre, du barreau de Morlaix.
M. Drouot, procureur de la République, soutiendra l'accusation.

On remarqua comme pièces à conviction les effets de la victime, dont quelques-uns tachés de sang.

L'acte d'accusation

Dans la matinée du dimanche 5 février 1896, au village de Kervasdoué, en Plougoulm, Marie Bizien, veuve Guivarc'h, voisine du nommé Ollivier Floch, l'entendait crier : « Marie... tuée ! » Elle sortit aussitôt pour demander ce qui s'était passé. Olivier Floch lui répondit que sa jument venait de porter à sa femme un coup de pied qui avait été mortel. La veuve Guivarc'h trouva, en effet, dans l'écurie, le corps de Marie-Louise Péron, femme Floch, couvert de sang et inanimé.
Il portait des plaies contuses à la tempe droite, des ecchymoses profondes aux paupières, plusieurs contusions à la gorge et de nombreuses égratignures à la face, sur les joues et au nez.

A la vue de ces blessures et avant toute constatation médico-légale, il était facile de se convaincre que la mort de la femme Floch ne pouvait être attribuée à un coup de pied de cheval et qu'elle était le résultat d'un crime. Aussi, dès le premier moment, un témoin appelé à visiter le cadavre n'hésita-t-il pas à dire à Floch : « Ceci est un crime, on ne peut pas inhumer ta femme sans en avoir prévenu l'autorité ».
Un autre témoin, Yves Le Berre, qui partageait son sentiment, l'accompagna au bourg de Plougoulm pour avertir le maire. Ce magistrat fit alors appeler le docteur Guillou, médecin-légiste, qui déclara aussitôt que les blessures constatées par lui devaient être attribuées à un crime.
L'autopsie à laquelle l'homme de l'art procéda, le lendemain, le confirma pleinement dans cette opinion en faisant découvrir, derrière les plaies de la partie frontale, une fracture du crâne, qui, suivie d'une hémorrhagie cérébrale, avait entraîné la mort. Cette fracture portait l'empreinte de l'instrument contondant qui avait servi à frapper la victime. Les multiples contusions du cou révélaient, en outre, une tentative de strangulation.

Devant les charges qui s'élèvent contre lui, Floch a dû, après quelques dénégations, reconnaître avoir lui-même donné la mort à sa femme. Il prétend toutefois ne l'avoir frappée qu'après avoir été injurié par elle et après avoir reçu dans le dos un coup de fourche, dont il ne peut montrer aucune trace. Il aurait riposté par un coup plus vigoureux et aurait renversé ou projeté brusquement sa femme contre le mur de l'écurie, où elle se serait blessée grièvement à la tète ; c'est alors que, de son propre aveu, redoutant une dénonciation de sa victime, il résolut de la tuer. La prenant à la gorge, il la tint ainsi longtemps et fortement serrée et, s'armant d'un vieux fer à cheval, il la frappa violemment à la tempe droite. La femme Floch se débat entre ses mains, essayant de se défendre ; il la maintient sous son étreinte en lui comprimant la bouche pour l'empêcher de crier et en lui labourant le visage avec ses ongles. Quand il la voit morte, ne donnant plus signe de vie, il sort, erre à travers champs et ne rentre que pour s'assurer qu'elle a rendu le dernier soupir.

En attentant à la vie de sa femme, l'accusé n'ignorait pas qu'elle était dans un état de grossesse avancée. Il avait, du reste, un intérêt pécuniaire à se débarrasser de la mère et de l'enfant.
A diverses reprises, la malheureuse femme avait été victime des mauvais traitements de son mari, qui, plus jeune qu'elle, ne l'avait épousée que pour sa petite fortuné. Elle lui avait apporté en mariage 3,600 fr., et il avait réussi, au mois d'août 1895, à se faire consentir par elle une donation de son bien.

L'accusé n'a pas d'antécédents judiciaires, il passait seulement pour être d'un caractère difficile.

Interrogatoire de l'accusé

D. — Floch, quand vous avez épousé votre femme, elle avait sept ans de plus que vous. Ce n'est donc pas pour sa jeunesse que vous l'avez prise. Pourquoi l'avez-vous épousée ?

R. — C'est mon oncle qui a fait le mariage.

D. — Vous avez déclaré à l'instruction que c'était pour son argent et aussi pour autre chose. C'est ce quelque chose que je voudrais savoir.

Pas de réponse.

D. — Votre femme était-elle heureuse avec vous ?

R. - Oui.


D. — Ce n'est pas ce que diront les témoins.

D. — Et avec vos parents ?

R. — Ils ne lui faisaient pas de misère ; mais elle ne s'entendait pas avec ma mère.

Le président. — Eh bien, d'un mot, je vais régler cette situation. Un jour que la morte avait fait une perte de sang considérable, elle fut obligée d'aller laver son linge. Des lavandières virent qu'elle portait des taches de sang et des marques verdâtres. Avait-elle été frappée ? C'est ce qui restera dans l'ombre. Mais savez-vous, messieurs, ce que la mère de l'accusé a dit ? Eh bien, elle a dit qu'elle était allée consulter une sage-femme et que celle-ci avait déclaré que Marie Péron avait une certaine maladie. La sage-femme proteste énergiquement. Enfin, un jour, la pauvre femme, malade, ne pouvait pas se lever.
Le père Floch s'est écrié : Il faut la jeter dans la mare à purin ! Voilà les sentiments de la famille Floch à l'égard de la malheureuse.

D. — Voulez-vous dire ce qui s'est passé dans la matinée du 5 janvier ?

Floch raconte alors la scène du meurtre, sans omettre de dire d'abord qu'il a été frappé ert injurié par sa femme. Il le fait avec une certaine hésitation.

Le président. — Vous n'étiez pas doux et mielleux comme cela, quand vous avez  tué votre femme ?

D. — Qu'avez-vous fait, une fois le crime commis ?

R. — Je suis allé faire un tour dans les champs.

Le président. — Ah ! l'homme pacifique ! Mais auparavant, comme vous aviez tout calculé, vous aviez placé la tète de votre femme dans le purin, à côté des chevaux, pour faire croire à un accident. Eh bien, vous avez un singulier aplomb. Non seulement, vous n'avez pas eu pitié de la mère, mais vous n'avez pas eu pitié de l'enfant, car vous saviez que ce petit être allait, dans quelques jours, venir à la vie, et vous, un homme jeune, à l'âge où les sentiments généreux se développent, au moment où vous allez pouvoir goûter les joies de la paternité, c'est ce moment que vous choisissez pour commettre un crime abominable. Allons donc ! vous avez voulu tuer et la mère et l'enfant, et nous savons pourquoi.

Et le président parle à ce sujet de la donation consentie par Marie-Louise Péron à son mari.

Le président. — Votre femme est tombée sous vos coups, demandant grâce. Vous ne l'avez pas écoutée, mais vous nous écouterez, nous. Il n'est pas possible qu'on continue à tuer ainsi en Bretagne.

Les témoins

On passe ensuite à l'audition des témoins. Onze sont entendus, parmi lesquels les suivants :

M. Antier, brigadier de gendarmerie à Saint-Pol de Léon, rapporte les constatations qu'il a faites le 5 janvier, constatations qui l'ont amené, dit-il, à conclure que la mort était le résultat d'un crime.

— M. le docteur Guillou fils, de Saint-Pol de Léon, en pratiquant l'autopsie de la femme Floch, a constaté deux plaies contuses au front, des ecchymoses considérables aux yeux, des égratignures de toute la face produites par des coups d'ongle, et au cou, dans divers endroits, des contusions démontrant des efforts de strangulation. En résumé, dit-il, la mort de Marie-Louise Péron me paraît produite par la fracture du crâne avec plaie et hémorragie du cerveau. Les essais de strangulation n'ont servi qu'à aider la mort trop lente à venir.

— Saluden (Jeanne), femme Velly,38 ans, cultivatrice à Sainte-Anne, en Plougoulm, rapporte que, deux mois environ avant le crime, se trouvant seule au douet avec la femme Floch (Olivier), celle-ci lui dit que son mari avait essayé de l'étrangler et qu'elle aurait bien voulu que quelqu'un prévînt les gendarmes.

— Françoise Créach, 17 ans, du Stang,en Plougoulm, déclare : — Le 4 janvier dernier, la femme Floch (Olivier) s'est plainte à moi de son mari, ajoutant qu'elle était malheureuse dans cette famille et qu'il n'y avait que son beau-frère Tanguy qui fût bienveillant pour elle. Elle m'a même raconté que la veille, étant indisposée, elle avait gardé le lit et que son beau-père, à un moment, s'est écrié : « Il faut l'arracher de son lit et la jeter dans la
mare à purin. » Son mari avait essayé par deux fois de la tirer du lit où elle était couchée.

— Marie-Louise Rioual, femme Abalain, demeurant au Runic, a également reçu les doléances de la femme Olivier Floch, qui, se plaignant un jour de son mari, lequel accomplissait sa période d'exercice militaire, manifestait le désir qu'il ne revînt pas, parce qu'il la faisait trop souffrir. Une autre fois, elle raconta au témoin que son mari l'avait engagée à passer contrat de donation mutuelle ; qu'elle n'avait pas envie de le faire, mais que cependant elle y avait consenti, pensant que son mari la ménagerait davantage et la mettrait plus à l'aise. C'était, dit le témoin, une excellente personne, n'ayant pas mauvais caractère.

Avant le réquisitoire, le président dit, s'adressant à l'accusé ; — « Vous n'avez pas accompli votre crime sous l'influence de l'ivresse, mais vous l'avez accompli lâchement, froidement, sans hésitation, et avec la plus grande férocité. Vous avez même déclaré que l'idée vous était venue d'achever votre femme, parce que vous craigniez qu'elle vous dénonçât. Eh bien, c'est de la préméditation, ou je ne m'y connais pas !» Et le président fait connaître qu'il posera la question de préméditation. L'accusation de meurtre est ainsi transformée en accusation d'assassinat.

Le réquisitoire

C'est au milieu d'une salle comble que le procureur de la République, M. Drouot, prononce le réquisitoire. Il entre aussitôt dans l'examen des faits. Cet homme, dit-il, s'est précipité sur sa victime, ayant en main ce fer pris dans un coin de l'écurie ; il a frappé à coups redoublés, sans qu'il y eût de défense possible ; il a redoublé ses coups et hâlé, par strangulation, la mort qui venait trop lente ; puis il a étendu la corps de façon que le purin du ruisseau
lavât cette tète sanglante. Après quoi il a inventé la fable d'un coup de pied de cheval donné au cadavre. Il n'a pas réussi à tromper l'opinion publique pendant un seul jour. Les faits éclataient dans leur série préméditée et réglée d'avance. Il a avoué avoir voulu achever sa femme pour l'empêcher de le dénoncer. Est-ce que ceci ne suffit pas à établir la préméditation ? Et son intérêt évident, cette donation de 1895 chez le notaire, lorsqu'il dit hypocritement que sa femme n'aura jamais d'enfants, alors qu'elle était enceinte de quatre mois, est la cause vraie de la mort de cette malheureuse. Tout le démontre. Jugez en juges du fait, dit en terminant M. Drouot, jugez sans hésitation, sans cruauté, sans faiblesse. C'est l'unique manière de comprendre les fonctions judiciaires. Si c'est une chose inique que de condamner un innocent c'en est une toute pareille que d'innocenter un coupable. C'est le mot connu de l'écrivain russe Tourgueneff : la clémence visà-vis des coupables n'est pas seulement de la clémence, c'est aussi de la cruauté vis-à-vis des innocents. Faites donc justice, et quand on vous demandera d'avoir pitié de cet homme, rappelez-vous sa victime innocente, jetée pantelante contre ce mur et dans cette fosse, et voyez qu'alors il a été, lui, sans aucune pitié.

La défense

M' Lefebvre, chargé de la défense de l'accusé, s'exprime ainsi :

Lorsque, il y a environ trois mois, j'ai été chargé de la défense de Floch, j'ai senti que la tache serait lourde, et cette impression n'a fait que s'accentuer, surtout depuis, qu'au cours de ces débats, la préméditation est venue s'ajouter à l'accusation, déjà si grave, de meurtre. Cependant, cette situation ne m'épouvante pas, parce que j'espère bien démontrer qu'il n'exista dans la cause aucun des éléments constitutifs de la préméditation. Et le défenseur s'attache à faire cette démonstration. A ce moment, l'accusé sanglote.

Reprenant à son tour l'examen des faits, M' Lefebvre dit que les témoins ont beaucoup exagéré et que la préméditation invoquée in extremis n'est pas suffisamment établie. Le meurtre ne saurait être discuté ; mais il reste la question des circonstances atténuantes, qui a une importtance capitale dans l'affaire. Le passé honnête de Floch, les conditions désastreuses de son mariage suffisent, dit le défenseur, à les motiver, et, donnant lecture d'une pétition des habitants de Kervasdoué en faveur de Floch, il espère que cet appel à la clémence sera entendu des jurés.

Le verdict

L,e Jury rapporte un verdict affirmatif de meurtre, sans circonstances atténuanfes.

En conséquence, Floch est condamnéaux travaux forcés à perpétuité.

 

A Cayenne, Floch eut une bonne conduite, malgré un caractère difficile. Il pratiqua l'effilochage. Mais il mourut en juin 1897.

 

Commentaires

  • Balcon

    1 Balcon Le 21/12/2022

    Bonsoir

    Je voulais savoir si Ollivier Floch avait des frères ou sœurs

    Cordialement
  • Le Jeune

    2 Le Jeune Le 15/01/2024

    Bonjour,

    Olivier Floc'h avait au moins 1 frère et une sœur ainsi qu'en témoigne la capture-écran jointe.
    Cordialement
  • Le Jeune

    3 Le Jeune Le 15/01/2024

    Désolé, je n'ai pas réussi à joindre une pièce.
    Ci-dessous lien geneanet:

    https://gw.geneanet.org/carhaisien?n=corre&oc=6&p=marie+louise

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