La noblesse de Plougoulm en 1481

Le 26/04/2021 0

Vue par Louis Le Guennec

(La Dépêche,  19 juin 1933)

Limitrophe au nord-ouest de Plouénan la belle paroisse côtière de Plougoulm (anciennement Ploecolm ou Ploegolm, du nom celtique de Saint Columba, l'apôtre et le héros de la Calédonie qui en est l'éponyme et le patron), comptait un peu moins de maisons nobles que sa voisine. Elle présenta à la montre ou revue militaire de l'évèché de Léon, tenue a Lesneven en 1481, un contingent de 22 combattants, dont une seule lance. Il faut remarquer que son plus riche gentilhomme, Thomas de Kerazret, n'y figure point, étant lui-même commissaire de cette montre et prévôt ce l'hôtel du duc. Il fut aussi capitaine de Brest et guerroya sur mer contre les Anglais et les Français. C'était l'arrière-ueveu d'un évêque de Won en 1411, Alain de Kerazret. Quelques débris du manoir gothique de Kerazret subsistent près de la mer. Les anciens « aveus » mentionnent un caveau voûté, qu'on e retrouve plus.

Thomas de Kerazret mis a part, le noble le plus considérable de Plougoulm était alors Jehan de Pontplancoet, seigneur du dit lieu, qui jouissait de 200 livres de rente. Il comparut en « lance »,
c'est-à-dire couvert d'une cuirasse com«lète de chevalier et escorté d'un « coustilleur » et d'un page. Son manoir s'aperçoit au sommet d'une colline, à droite du pont de Saint-Yves, sur la route de Saint-Pol à Plouescat. La très modeste apparence de ses bâtiments avait déjà déçu Fréminville mais il faut croire que les anciennes constructions offraient une ordonnance plus imposante.

Au second rang venait, avec ses 132 livres de rente. Hervé Kenechgrizien, seigneur du dit lieu, Etant malade et empêché, il se fit remplacer par deux voulgiers en brigandine, Maurice et Hervé Le Moyne, probablement frères cadets ou cousins de son gendre Alain Le Moyne, seigneur de Trévigné en Plounéour-Trez. Le manoir de Crechizien (telle est la forme moderne de ce nom) n'a de remarquable que les vestiges des fortifications de son portail et sa très haute cheminée,

Yvon Le Moyne, seigneur de Ramlouch, possédait un revenu de 80 livres. Il fit, montre en archer en brigandine à 2 chevaux, bras couvertz. Ses armoiries : un croissant accompagné de 3 coquilles, sont encore reconnaissables sur la porte du vieux manoir de Ramlouch, plus lard transmis par alliance aux Kertroadec de Tromanoir, puis possédé par les Parçevaux et les Marigo de Keramel.

Le seigneur du Dourduff, Hervé du Boys, était nanti de 72 livres de rente. Il ne comparut point; on l'excusa, parce qu'il servait « sous la lance » du sire de Kermavan capitaine du ban et arriére-ban de l'évèché. Il avait au Dourduff, dans la vallée du Guillec, un beau manoir que les Le Jacobin de Keramprat possédèrent ensuite, mais où l'on ne rencontra plus rien d'ancien, sauf le moulin féodal solidement bâti de granit.

Le seigneur de Keroulaouen, Guillaume Kercoent, accusait un revenu à peu près égal, 70 livres, et se présenta rn même équipage que le propriétaire de Ramlouch. Son petit manoir est un type intéressant de ces humbles gentilhommières du XVe siècle qui ne comprenaient que deux pièces principales, la salle-cuisine du rez-de-chaussée et la chambre de l'étage. Les valets couchaient dans la première, les maîtres dans la seconde, à moins que ce ne fût tout le contraire...

Hervé du Stang ou de l'Estang était riche de 65 livres de rente, ce qui lui imposait l'obligation de servir, comme les précédents, en archer à 2 chevaux. Il ne faut pas confondre cette famille de l'Estang avec son homonyme, les de l'Estang du Rusquec, originaires de Plougar et de Plouvorn. Les armoiries d'Hervé : d'azur à deux carpes d'argent posées en fasces, témoignent du penchant qu'éprouvaient ses ancêtres pour les joies paisibles de la pêche à la ligne, dans cet agreste vallon de l'Horn où le moulin du Stang est devenu au XIXe siècle une usine à serancer le lin.

Le possesseur du manoir de Kerautret, Alain Tuonélorn, n'avait déclaré qu'un modique revenu de 60 livres, et servait en archer à 2 chevaux. Il habitait pourtant une vraie maison-forte, capable de repousser l'attaque d'un parti de pirates anglais avec son portail à mâchicoulis, sa tourelle d'angle percée d'embrasures, et son majestueux donjon accosté d'une échauguette. Dans la chapelle seigneuriale de Kerautret, en la cathédrale de Léon, le tombeau de sa famille est décoré d'un écusson ayant pour timbre une étrange « morgane » nue qui peighe sa chevelure devant un miroir. Au devant se trouve la pierre tombale, à effigie gravée au trait, d'un des fils d'Alain-Christophe Tuonélorn, qui fut chanoine de Léon et recteur de Plougoulm. La devise des Tuonélorn était le mot breton Martézé (Peut-être). Au manoir de Kerautret, le portail fortifié et la base de la grosse tour ont survécu à de déplorables démolitions.

Le seigneur de Rusunan, Jehan Coetelez et Jehan Guillaume font encore quelque figure, grâce à leurs 44 et 40 livres de rente. Je ne connais pas la seigneurie de ce dernier, qui montra du zèle en servant en voulgier à 2 chevaux, tandis que Jehan Coetelez n'utilisait qu'une unique monture. Ensuite, nous tombons dans la classe des petits hobereaux, dont la médiocrité finit par friser l'indigence. Deux nobles dames, Béatrix Le Ny et Marguerite Kernonnen, demoiselle du dit lieu, avaient 30 et 20 livres de revenu. La première se fait représenter par Pierre, avoué (bâtard) de Saint-Georges en Plouescat, l'autre par Jehan de l'Estang.

Yves Kergoulaouen (25 livres), Olivier Launay, seigneur de Kerguiduff (15 livres), Jehan Kenechgrizien et Hervé Kerlezroux (10 livres), Olivier An Mouster (5 livres), Jehan Helleau, seigneur de Bourrapa (6 livres) n'étaient point, malgré l'ancienneté de leur race, des aristocrates bien dorés. Du reste, Olivier de Launay négligea de comparaître, ainsi que Maître Maurice Kergouanac, dont les
moyens se limitaient à une minuscule rente de 100 sols. Hervé Kerverault n'en possédait pas davantage. Il tint cependant à « faire montre » et, en raison de sa minorité, présenta pour lui Tanguy Kerverault, « voulgier en jacque ». Le jacque était un paletot de cuir bien matelassé, qui mettait son porteur, dans une certaine mesure, à l'abri des coups. Cette armure rustique fut également l'équipement du plus gueux des gentilshommes de Plougoulm, Nicolas Philippes, à qui tous ses domaines rapportaient par an la forte somme de 60 sols.

La paroisse comptait encore plusieurs manoirs dont il ne m'a pas été possible d'identifier les possesseurs, tels que Poullesqué, Kervrenn, Kerdévez, le Marquez, la Palue, Keranfaro, Lanrivinen, Trédern. etc. Il est curieux de constater que la famille de Trédern n'existait pas encore en 1481, malgré ses prétentions d'une antiquité très haute, appuyées sur des pièces ridiculement fausses que devait élaborer à la fin du XVIIIe siècle le fameux Delvincourt. Que de généalogies mirifiques s'écrouleraient ainsi devant une simple confrontation avec le rôle d'une réformation de fouages ou une montre de paroisse, pièces officielles souvent négligées mais dont l'authenticité défie les titres les plus sompteux.

 

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